CECI n'est pas EXECUTE 10 juillet 1848

Année 1848 |

10 juillet 1848

Charles Eynard-Eynard à Alfred de Falloux

Pau, 10 juillet 1848

J’ai tant <mot illisible> de vous et avec vous au travers de l’âme d’Albert [de Ressséguier], que le nom d’ami que mon cœur vous donne depuis longtemps est le seul qui puisse venir sous ma plume, accepter le cher Alfred. Je n’ai pas voulu quitter ce pays sans serrer la main sans vous dire notre communauté d’épreuves dans la personne dans la vie de celui que nous aimons. Je l’aime, je l’éprouve par amour et nous aussi en lui, notre chère Marie1 déchoit rapidement, sa maigreur et sa faiblesse augmentent journellement et nous ne pouvons plus espérer un revoir terrestre sans une sorte de miracle, mais Dieu fait des miracles et l’amour espère tout. Espérons, attendons, nous nous lassons point de prier et de demander pour le corps et pour l’âme, pour le temps et l’éternité des trésors de miséricorde, de consolation et de grâce que Dieu a certainement réserve pour ces bien-aimés.

À cette communion de souffrance, d’affection et de prière qui nous unit déjà, j’ai à ajouter un nouveau sujet de rapprochement en vous demandant de vous occuper encore d’une œuvre digne de vous. Mon départ prochain ne me permet pas de vous en dire bien long mais vous comprendrez sans cela, l’intérêt de ma requête. Il est probable que dans peu de jours la position d’Abdel-Kader sera examinée et réglée à l’Assemblée nationale d’une manière définitive. Le témoignage de tous les hommes qui ont connu sa lutte, et les circonstances de sa reddition est unanime tout reconnaissent qu’Abdelkader est venu librement, sur une promesse qui à ses yeux engageait la nation française et que jamais il a douté de la sainteté de cette promesse.les colonels Damas2, de Beaufort3 les généraux Lamoricière, Cavaignac, Bedeau4, et le Maréchal Bugeaud5 sont d’accord à l’affirmer. Ils l’ont témoigné de diverses manières et le feront encore, mais l’opinion de plusieurs de ceux qui connaissent les généraux actuellement aux affaires, et qu’ils craindront de compromettre leur popularité, ou de se charger d’une grande responsabilité en proposant la mise en liberté. On dit que Lamoricière plaidera avec chaleur la cause de l’honneur français à la tribune, mais qu’il ne serait pas impossible qu’il ,dit ou laissât penser, qu’au fond son opinion <mot illisible> par influer sur le vote de l’assemblée et qu’il vaut mieux laisser Abdelkader en captivité. C’est là ce que vous ne voudrez pas, ce que vous ne permettrez pas, autant qu’il sera en vous. <mot illisible> la liberté d’Abdelkader contre quelques craintes à la France, vous ne consentirez pas à laisser peser une tâche de déloyauté sur le nom français. Si quelques terreurs imaginaires pouvaient prévaloir dans l’esprit de quelques-uns, sur les intérêts de la justice, la liberté d’Abdelkader qu’on accordera plus tard n’aura plus la haute signification de moralité nationale qu’elle aurait maintenant. Abdelkader tiendra sa parole si on tient celle qu’il a reçue, cela est je crois hors de doute. Une continuation d’oppression ne saurait le lier. Vous vous étonnerez que je prenne la liberté de vous donner presque un conseil, vous l’excuseriez comme on excuse un ami, vous l’excuserez bien davantage en sachant que c’est à la demande d’Abdelkader que je vous écris. » Je ne <plusieurs mots illisibles> que les hommes moraux et droits se mettent beaucoup en peine de plaider une cause qui est celle de la justice et de la vérité. Toi-même, tu as des amis à Paris, leur dois tu la vérité sur ce qui me concerne et leur montrer là les sentiments que tu as pour moi. Qui sait si ta parole ne resterait pas aussi dans un cœur loyal. L’amour des captifs injustement retenus à Pau. Dieu est grand ».

J’ai pensé à vous, et sans douter que vous eussiez fait tout ce que commande la foi et la <mot illisible> à un cœur chrétien, je vous redis ces paroles. Le colonel Damas est je crois, l’homme le mieux au fait de la situation d’Abdelkader, mais vous l’êtes peut-être parfaitement vous-même. Ne voyez alors dans mes paroles qu’un épanchement un reflet du cœur et de la pensée d’Albert [de Rességuier] auquel j’aurais transmis ce message, si je pouvais lui parler et l’occuper d’autre chose que de Marie.

 

Pardonnez le décousu de cette lettre je pars dans quelques moments et suis sans cesse interrompu. Si vous pouviez me répondre un mot à Lyon, poste restante : j’y serai dans six ou huit jours ; sans cela à Genève ; j’ai besoin de savoir que votre santé se raffermit et que Dieu vous soutient et vous bénit dans votre laborieuse et grande tâche.

Adieu, on m’interrompt encore, mais rien n’interrompt la pensée pleine d’affection avec laquelle je vous suis et vous accompagne toujours. Que Dieu vous fortifie et vous bénisse ! C’est le vœu de votre ami.

Charles Eynard Eynard

 

 

 

 

1Marie de Rességuier, née d’Anglade (1822-1848), épouse d’Albert de Rességuier depuis 1839. Gravement malade, elle allait décéder peu après, le 30 septembre.

2Damas, Eugène Melchior Joseph (1803-1871), écrivain, militaire et homme politique. Venu en Algérie en 1835, il avait été consul auprès d'Abd-el-Kader de 1837 à 1839. Il fut envoyé auprès de l'émir lors de son internement au Fort Lamalgue à Toulon.

3Beaufort d'Hautpoul Charles Marie Napoléon de (1804-1890), militaire. Après plusieurs missions aux côtés du maréchal Soult en Syrie et en Égypte, il fut envoyé en Algérie où il prit part à la prise de la smala d'Abd-el-Kader, le 16 mai 1843

4Bedeau, Marie-Alphonse (1804-1863), comme les autres militaires cités ici, il participa à la conquête de l'Algérie. Comme Cavaignac, il revint en France et se fit élire à la Constituante.

5Bugeaud de la Piconnerie, Thomas-Robert, duc d'Isly (1784-1849), militaire et homme politique. Maréchal de France, son nom reste attaché à la colonisation de l'Algérie. Il avait été, depuis 1831, député de la Dordogne (collège d'Exciteuil).

Notes

1Abd-el-Kader, émir arabe d'Algérie (1808-1883), proclamé sultan des arabes en 1832, il avait combattu les Français en Afrique du Nord. Après avoir fait acte de reddition le 23 décembre 1847, il fut interné à Toulon, puis dans le château de Pau où Falloux lui rendra visite.
2Eugène Melchior Joseph Daumas (1803-1871), écrivain, militaire et homme politique. Venu en Algérie en 1835, il avait été consul auprès d'Abd-el-Kader de 1837 à 1839. Il fut envoyé auprès de l'émir lors de son internement au Fort Lamalgue à Toulon.
3Charles Marie Napoléon de Beaufort d'Hautpoul (1804-1890), militaire. Après plusieurs missions aux côtés du maréchal Soult en Syrie et en Égypte, il fut envoyé en Algérie où il prit part à la prise de la smala d'Abd-el-Kader, le 16 mai 1843.
4Louis-Eugène Cavaignac (1802-1857), membre du parti républicain, il s'était distingué en Algérie. De retour en France, il fut élu à la Constituante.
5Marie-Alphonse Bedeau (1804-1863), comme les autres militaires cités ici, il participa à la conquête de l'Algérie. Comme Cavaignac, il revint en France et se fit élire à la Constituante.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «10 juillet 1848», correspondance-falloux [En ligne], Année 1848, Seconde République, Années 1848-1851, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 12/06/2021