CECI n'est pas EXECUTE 19 février 1853

Année 1853 |

19 février 1853

Louis Molé à Alfred de Falloux

Paris, 19 février 1853

Monsieur le Vicomte,

Je dois à M. de Salvandy une marque précieuse de votre souvenir. Mais ce n'est pas seulement votre silence que j'avais regretté en m'adressant à lui. C'était encore plus votre absence, une absence si prolongée qu'elle doit s'appeler séparation. Que de fils rompus, de progrès rendus impossibles par tant de vides laissés dans nos rangs. Ce n'est pas dans une lettre que je pourrais vous développer ma pensée. Je me borne à consigner ici mon chagrin de ne pas vous voir au moins à de longs intervalles, venir nous faire profiter des méditations de votre retraite et les échanger contre des impressions que le contact des choses et des personnes nous donne plus qu'à vous. <mot illisible> moi, je vous prie si je vous ouvre mon âme sur ce sujet aussi complètement tel autre resté parmi nous s'isole et me fait regretter sa présence. Encore une fois, Monsieur le Vicomte, pardonnez-moi ce moment d'épanchement. Pendant ces trois ou quatre années pendant lesquelles j'ai été si heureux et si fier de m'accorder tous les jours avec vous, j'ai appris à vous apprécier et vous ne pouvez être surpris des regrets et du vide que laisse après elle une si douce habitude. Certes cette majorité à laquelle j'ai eu l'honneur d'appartenir serait trop heureuse de vous avoir pour historien1. Elle a rendu de grands services et commis de grandes fautes. Un grouppe [sic] plus actif que nombreux et qui se compose de trompeurs et de dupes l'a frappé d'impuissance en la divisant. Il sera délicat, difficile même de le dire et pourtant l'histoire sera bien incomplète, les résultats resteront inexplicables et inexpliqués si on ne le dit pas. Le tort si sûr de votre esprit et les tours aussi variés qu'habite de votre plume surmonteront la difficulté. Je recevrai la communication que vous me faites espérer avec autant de reconnaissance que d'intérêt et d'empressement. Rien ne saurait égaler le plaisir que j'aurai à vous recevoir sous mes vieux mais frais ombrages, à y entendre votre lecture et à y deviser ensuite longuement avec vous. C'est le 1er juin, non avant, que je compte m'établir à la campagne. Ma fille a été bien sensible à votre souvenir et me charge de vous l'exprimer. Vous m'avez procuré la seule compensation que je puisse admettre à votre champêtre retraite en me disant que les santés qui vous sont si chères s'en trouvaient aussi bien que la vôtre. Agréez, je vous prie, toutes les assurances des sentiments si profonds que je vous ai voués et qui ne finiront qu'avec moi.

Molé

En fermant ma lettre on m'apprend qu'une dépêche télégraphié de Vienne dit que l'Empereur2 se promenant sur les remparts a été assassiné. La blessure est fort légère. L'assassin tailleur hongrois a été arrêté au milieu de l'indignation générale. La dernière amnistie ne fera que rendre audace et courage en France et en Europe à ces assassins politiques.

Notes

1Falloux travaillait alors à la rédaction d'un l'ouvrage sur l'histoire de la majorité, ouvrage qui ne sera jamais publié sans que l'on sache très bien pourquoi.       
2Il s'agit de l'empereur François-Joseph Ier d'Autriche, victime le 18 février 1853, d'une tentative d'assassinat.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 février 1853», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1853, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 26/06/2012