CECI n'est pas EXECUTE 11 octobre 1854

Année 1854 |

11 octobre 1854

Alexis de Tocqueville à Alfred de Falloux

Clairoix, près Compiègne, 11 octobre 1854,

Il faut d'abord, cher ancien collègue et ami, que je vous demande pardon de mon silence, en vous l'expliquant. Le jour même que vous m'arriviez (le 20 septembre), je quittais Wiesbaden1, ou Corcelle m'a envoyé votre lettre. Celle-ci a couru, ensuite, de place en place le long du Rhin, arrivant toujours où je n'étais plus et elle m'est enfin venue chercher en France, où je suis de retour moi-même depuis huit ou 10 jours. Pour répondre à votre confiance par une confiance entière, je vous dirai que votre lettre me cause beaucoup d'embarras. J'ai grande envie de vous assurer ma voix, mais je n'ose le faire à cause d'engagements antérieurs qui me gênent. Vous paraissiez pour la première fois sur la scène académique et ne prévoyant point votre arrivée, je n'ai pu faire pour vous un cas réservé. Si je puis honnêtement me dégager je le ferai volontiers. Dans le cas contraire, ne comptez pas sur moi pour la vacance actuelle. Maintenant, parlons de votre position en elle-même. Mon expérience en ces matières peut vous être de quelque utilité. Vous êtes certainement appelé à faire partie de l'Académie. Votre talent, votre nom, les souvenirs toujours vivants, qui quoique vous en disiez, s'attachent à ce nom, la sympathie particulière et vive que vous inspirez à toute une classe de personnes, tout vous assure une place parmi nous du moment que vous désiriez sérieusement l'obtenir. Ceci n'est pas un vain mot mais l'expression de ma conviction arrêtée. Sûr de l'avenir, je vous conseille de ne pas précipiter vos mouvements. Pour un homme comme vous, le plus important n'est pas d'entrer mais de trouver des portes toutes grandes ouvertes. Préparez votre candidature, mais ne la déclarez officiellement qu'à coup sûr. C'est à juger d'avance le coup sûr que gît la plus grande difficulté. Rien de plus malaisé que de <mot illisible> le sentiment qui va diriger l'académie dans un vote. Ces scrutins sont des abîmes insondables et si je n'avais peur de vous paraître un peu profane, je vous dirais  qu'elle est un véritable conclave, moins le Saint Esprit. Je suis disposé à penser que le sentiment actuel de l'académie, et qu'il lui faut cette fois un pure hommes de lettres et que M. Ponsard est désigné au fond de sa pensée. Et ce qui me prouve que je ne me trompe pas, c'est une lettre que j'ai reçue, il y a quelques jours, d'un de mes amis , qui n'est pas académicien ni ne veut l'être et dans laquelle se trouve cette phrase que je copie textuellement; J'ai entendu avant-hier dans une maison où je dînais MM Pasquier2, Brifaut3, Cousin et Patin4 d'accord pour croire Ponsard à peu près sûrs de ses faits. On veut à toute force cette fois, un homme de lettres même un poète. J'ai pensé que ce renseignement recueilli par une voie d'autant plus sure qu'elle est indirecte, pouvait vous être utile. Quand je serais moi-même de retour à Paris, je saurais plus exactement l'état des esprits et si j'apprends  quelque chose que je crois essentiel que vous sachiez. je vous le  manderai. En tous cas l'élection ne devrait avoir lieu je pense que dans décembre, vous aurez le temps de prendre un parti décisif. La même personne qui m'a mandé ce que je viens de vous écrire m'assure que Mme Swetchine est chez vous. Je vous envie ce bonheur. Veuillez je vous prie, nous rappeler très particulièrement à son souvenir est croire, chers anciens collègues, à mon bien sincère attachement. Mes hommages à Madame la marquise de Falloux.

                                                                    A. Tocqueville

Notes

1Ville d'Allemagne, une des plus anciennes stations thermales d'Europe.
2Étienne-Denis, baron puis duc de Pasquier (1767-1862), homme politique. Maître des requêtes au Parlement de Paris en 1787, il avait servi Napoléon puis la Restauration avant d'être nommé chancelier sous la monarchie de Juillet. Il était rentré dans la vie privée peu après la Révolution de 1848.
3Brifaut, Charles (1781-1857), auteur de tragédies, professeur d'histoire et de mythologie au Conservatoire. Fervent royaliste, il collabora à La Gazette de France. Il était entré à l'Académie française en 1826.
4Patin, Henri Joseph Guillaume (1793-1876), homme de lettres et hélléniste, il était entré à l'Académie française en 1842.  

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 octobre 1854», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1854, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 07/10/2013