CECI n'est pas EXECUTE 21 mars 1857

Année 1857 |

21 mars 1857

Alexis de Tocqueville à Alfred de Falloux

Tocqueville, le 21 mars 1857

Cher ancien collègue, bien que j'ai écrit hier à notre ami commun Corcelle une lettre dont il a dû vous faire part, je veux m'adresser directement à vous et vous exprimer sans intermédiaire le regret que j'ai de ne pas assister à votre réception1. Ma femme est en ce moment hors d'état de voyager et je ne veux pas la laisser seule me venir retrouver plus tard. Voilà simplement la vérité même. Nous ne sommes pas, au bout d'un chemin de fer comme vous paraissez le croire, mais à trente lieues du premier débarcadère. Ma femme2 a été atteint, il y a sept jours, d'un mal de reins violent (auquel elle n'est que trop sujette). Tant que ce mal durera je ne puis songer à lui faire faire ces trente lieues. Il nous faut deux jours pour cela. Les postes sont désorganisées je n'ai pu songer aux diligences. Nous faisons donc cette route avec des chevaux de longe. Elle est longue et fatigante. Je répète que je ne puis la faire entreprendre à ma femme que les voyages fatiguent extrêmement. J'espère que ceci ne vous paraîtra pas un prétexte. Pourquoi aurais-je recours à un prétexte, nous avons toujours vécu dans d'excellents rapports, j'admire votre talent d'orateur, et il est bien dur maintenant de pouvoir vous entendre ; vous êtes en opposition avec le gouvernement actuel ; vous êtes indignement et gratuitement attaqués par des gens pour lesquels je n'ai, comme vous pouvez croire, aucune sympathie. Que de raisons naturelles pour désirer assister à la séance où vous serez reçu ? Il n'y assurément qu'un motif sérieux qui puisse m'empêcher de faire une chose si simple et si conforme à mon désir. Si en effet, nous étions sur un chemin de fer, j'irai assister à votre réception et voter à l'académie et je reviendrai chercher Mme de Tocqueville mais je vous avoue que ce double voyage dans cette saison me paraît pénible et malsain pour moi. Voilà sans le moindre détour ce qui m'empêche de l'entreprendre. Pardonnez-moi si, comme je l'espère, la crise qu'éprouve en ce moment ma femme n'a pas une longue durée, je serai assurément à l'élection. En général, un repos complet amène la cessation d'accidents semblables et permet de nouveau à Mme de T[ocqueville]. de supporter la voiture. S'il en est ainsi cette fois, je reprendrai avec un grand empressement le chemin de Paris. J'ai dans cette ville des affaires pressantes de plusieurs natures. Il me tarde d'y être et je vous assure que le désir d'assister à votre réception augmente mais ne fait pas naître l'envie que j'ai d'être de retour. Pardonnez-moi donc mon absence, mon cher Falloux, je vous prie. Croyez que cette absence ne contrarie autrement mais, mieux croyez, surtout, que je n'ai jamais été plus disposé à vous serrer la main avec amitié et qu'il m'en coûte beaucoup de renoncer au plaisir de vous entendre parler et, j'ajoute sans commentaire, de vous entendre parler de M. Molé.

Absent comme présent, j'éprouve des sentiments d'estime et d'affection sur lesquels je vous prie de compter.

                                                         A. Tocqueville

Notes

2Mary Mottley (1799-1864), d'origine anglaise, elle était depuis 1835 l'épouse d'A. De Tocqueville.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «21 mars 1857», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1857, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 14/09/2013