1872 |
16 janvier 1872
Paul Andral à Alfred de Falloux
16 janvier 1872
Mon cher Mr le comte,
Je vous remercie de la peine que vous avez prise de m'envoyer un fragment de L'Union de l'Ouest. Me permettez-vous de vous dire que je crains que cette réponse ne suffise pas en face des odieuses indignités de certains journaux! Cinquante journaux de toutes nuances, répétant L'Union et L'Union vous disent "Vous démentez ce qu'on vous prête mais vous n'avez pas publié ce que vous avez dit. S'il s'agissait d'une conversation intime, le silence serait compris par tout le monde; mais il s'agit d'une réunion politique et dans votre bouche de conseils donnés à tout un parti constituera un manifeste. Le public ne me parait comprendre qu'on le lui cache. Ce n'est pas une supposition que je vous envoie, c'est un écho. Je sais bien que la publication aura l'inconvénient de raviver la polémique; mais je ne la crains ni pour vous ni pour vos idées. On ergotera sur ce que vous ferez ou plutôt vous laisserez s'exprimer; on continuera bien entendu à vous interpeller. Mais votre pensée exactement rendue, vous ne pouvez plus être tenu de discuter. Je crois donc que pour vous la publication vaut mieux. J'ajoute que politiquement, il me parait y avoir une importance plus grande encore à ce qu'on sache qu'il y a un programme royaliste différent de celui de M. le C[om]te de Chambord. Vous pouvez après tout laisser dire sans daigner répondre. Mais il y a à l'heure qu'il est en France beaucoup d'honnêtes gens qui ne savent plus que penser et où aller. Vous et Berryer absent, la tribune, comme le temple est muette et ne rend plus d'oracles. Parmi les journaux, les uns pervertissent l'opinion, L'Union, L'Univers et leur cortège de province. Les autres, les bons, n'osent pas dire ce qu'il faudrait dire et sont condamnés à se réfugier dans des généralités qui n'éclairent personne. Je crois que bien des gens se rallieraient à la ligne que vous avez, au dire de tous, si admirablement indiqué. Je ne vois qu'une objection que je puis mesurer, parce que je n'étais pas chez de Meaux1. Une analyse incomplète serait dangereuse, parce que deux ou trois des assistants pourraient la compléter et que les suppressions mises ainsi en relief prendraient de la gravité. Tout ce que vous avez dit peut être publié sans inconvénient. D'après ce qui m'a été rapporté je n'aurai de doute que sur le passage relatif à M. Thiers2 et au duc d'Aumale3 opposés l'un et l'autre. Vous savez ce que vous avez dit et comment vous l'avez dit. Vous savez si le reste se prête à la publicité; vous seul pouvez donc juger. J'ai seulement cru de mon devoir de vous dire ce qui se dégage pour moi de ce que je recueille; ce que je me permets de vous soumettre n'est pas l'avis de tous; d'excellents esprits pensent que vous devez laisser dire sans publie ou laisser publier un discours ou à côté d'un véritable manifeste se trouvent des conseils de tactique qui ne sont pas faits pour la publicité; on vous a certainement écrit en ce sens. Vos amis doivent vous renseigner chacun à leur point de vue. A vous ensuite de décider. La question est si délicate, et je me trouve, si ce n'est par votre amitié, si peu autorisé à vous conseiller que je ne vous aurais pas écrit sans l'insistance de votre ami Gaillard qui m'en a fait un devoir. Votre bien respectueux et bien dévoué.
Gabriel Andral