CECI n'est pas EXECUTE 13 janvier 1872

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13 janvier 1872

Vincent Audren de Kerdrel à Alfred de Falloux

Versailles, 13 janvier 1872

Il me semble, cher ami, qu'un siècle s'est écoulé depuis votre départ. J'ai tant vécu de vos pensées et de votre parole pendant 4 jours, qu'abandonné à moi-même ou réduit à d'aussi faibles que moi je me débats dans le vide impuissant et désolé; ce qui me fait paraître le temps d'une <deux mots illisibles>  la discrétion des modérés n'a pas été imité par les pointus. Ils se sont emparés, et cela devait arriver, de vos paroles, non pour les reproduire mais pour les dénaturer. L'Union de l'Ouest, reproduite par plusieurs journaux a, il est vrai, sur un point, publié une rectification importante mais que de mensonges restent encore debout. Il serait facile de les réfuter aussi mais la question est de savoir si l'effet serait bon sur le public. L'exposition de votre manière de voir, dépouillée du charme de votre parole, ne donnerait-elle pas lieu à des récriminations plus vives encore que celles dont nos ardents de province ne se font pas faute. Peut-être un peu de vague dans les impressions des gens qui ne vous ont pas entendus vaut-il mieux que trop de précision, grâce à ce vague, il y a toujours moyen de répondre qu'ils se trompent, qu'ils sont mal informés, sans être absolument obligé de les informer mieux. C'est d'avoir un avantage sur eux que de pouvoir leur parler sur ce ton. Voilà pourquoi j'ai conseillé à M. de Meaux d'écrire sa lettre. L'inexactitude des récits de la presse a été constaté par lui. Ce reproche général est donc une réfutation anticipée qui atteint toutes ces assertions erronées qui se produiront peut-être encore, sans prolonger comme le feraient des réponses directes sur tous ces points, une polémique irritante. Si je pense qu'il ne faut pas trop entrer en lutte avec les journaux trompés ou trompeurs, je crois avec plus de fermeté encore qu'il est urgent de grouper les raisonnables de la chambre autour de votre programme. J'ai déjà lancé cette idée et il me semble qu'elle est acceptée avec faveur. Il y aura des timides qui, oubliant, la scission à priori des chevau-légers ne voudront pas aggraver nos divisions mais un grand nombre comprendront que le fait même de l'ensemble des chevau-légers, non seulement autorise mais nécessite la formation d'un groupe vraiment politique. Ils comprendront, beaucoup comprennent déjà, qu'émiétés et éparpillés, nous avons beau posséder la supériorité la valeur et le nombre, il nous sera néanmoins impossible de faire contrepoids à une force organisée, à une réunion dont les membres se présentent au centre des Réservoirs avec des partis pris et des résolutions arrêtés.  Le fossé entre les fous et les sages devient chaque jour plus profond, vous aurez contribué à le creuser mais il n'y a pas à vous en repentir. La lumière que vous avez fait a augmenté le nombre des sages. Vous avez eu sur les hésitants, sur les centres de la droite, une influence incontestable. La Monneraye1 n'était pas à la réunion. A sa place, je n'oserais pas l'avouer. Un peu de pluie ou de boue ne sont pas un obstacle sérieux quand il s'agit de vous entendre. Mais l'abbé Jaffré2, M. de Progie3, M. Boucher du Morbihan ont été contents. L'abbé Jaffré l'a peut-être été le plus. En somme soyez satisfait, cher ami, du grand et puissant effort que vous avez tenté pour le bien. Vous n'en resterez pas là je l'espère. Comme si ce n'était pas assez des inconvénients cyclopés du manifeste de Chambord, nous avons ici des amis, je ne sais si c'est par ordre qu'ils s'attachent à justifier tous les griefs contre le drapeau blanc, ils ne vont pas jusqu'à prôner la dîme et la corvée; mais ils professent dans le langage de L'Univers lui-même la théorie de la liberté du bon sans la liberté du mal et tout ce qui s'en suit. On leur a dit que l'Empire a des chances de retour car la France veut un maître, une main de fer etc. et ils semblent préoccupés de faire concurrence à Napoléon III en garantissant que le gouvernement du Comte de Chambord serait aussi absolu que le sien. Quand nous arrêterons un programme ou plutôt quand nous relancerons le vôtre ce sera un point qu'il faudra toucher. Mettez-moi aux pieds de Mmes de Caradeuc et Falloux.

Votre ami reconnaissant

Notes

1La Monneraye, Charles  Ange de, comte (1812-1904), militaire, historien et homme politique. Légitimiste, il fut élu au Corps Législatif par le Morbihan aux élections de 1869. Réélu par ce même département en 1871 puis en 1876, il siégeait avec l'extrême droite. Nommé au Sénat quelques mois après sa réélection de 1876, il sera réélu à deux reprises à la chambre haute.
2Jaffré, Jean (1819-1896) prêtre et député. Ordonné prêtre en 1844, il avait été nommé Supérieur du Petit séminaire de Vannes. Bien qu'il ne se soit pas porté lui-même candidat, il fut élu député du Morbihan à l'Assemblée nationale, en 1871. Il vota constamment avec les Monarchistes.
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Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «13 janvier 1872», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1872, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 26/02/2013