1879 |
19 novembre 1879
Alfred de Falloux à Armand de Mackau
19 novembre 1879
Mon cher Armand,
J'ai guetté avec soin la conférence dans les journaux et je n'ai rien vu venir, pas plus que du côté de M. Lamy1. Je crains donc bien que l'intolérance qui nous a déjà fait tant de mal, ne continue à dominer nos petites coteries, qui se sont faites gouvernement catholique à la façon du 4 septembre, avec de meilleures intentions très certainement, mais avec des procédés tout aussi arbitraires. Comment M. Chesnelong2 se laisse-il submerger par un pareil courant ? Ce qui s'est passé dans l'Ouest à cet égard a été déplorable et M. de la Monneraye lui-même a été mis de côté tout aussi bien avec M. de Kerdrel, à Vannes, ou M. de Soland3 à Angers. M. Baragnon et M. de Mun, qui n'étaient que des invités, n'en sont pas responsables ; mais il me paraît impossible que le comité directeur de Paris n'ait pas été très coupable. Pour mon compte, je veux payer mon tribut dans le Correspondant prochain et je me suis appliqué à éviter toute question litigieuse ; cependant je ne puis m'empêcher de parler encore la vieille langue de 1850 et je pense que cela suffira pour m'aliéner bien des sympathies, y compris celle de M. l'abbé Houssaye4, qui est une de celles que je regrette le plus.
Toutefois, ce n'est pas pour ces inutiles gémissements que je t'écris, mon cher Armand, mais pour une question plus pratique. Je suis étonné de ne trouver dans nos journaux aucune trace des élections municipales pour les conseils d'hospice, d'hôpitaux et de bureaux de bienfaisance. Partout, autour de moi, les conseils municipaux ont nommé le curé5, même quand le curé est mal vu de la population comme cela a lieu, par exemple, à Segré, où le curé avait épousé d'une façon vraiment scandaleuse la guerre, très scandaleuse aussi de Mgr Freppel contre l'hospice Swetchine. Le curé n'a été nommé qu'après plusieurs tours de scrutin, mais enfin il l'a été uniquement pour protester contre la nouvelle loi. Si cette protestation s'était généralisée, ce fait me paraîtrait bien utile à faire connaître avant la discussion des lois Ferry, au Sénat. Ce seraient les conseils municipaux venant à l'appui des conseils généraux et un second verdict du suffrage universel encore plus direct que le premier. Les moyens d'information qui sont mis en mesure de publier un travail très utile sur les conseils généraux ne pourraient-ils pas se renseigner sur les élections municipales et nous donner le chiffre des curés qui, expulsés par la nouvelle loi, ont été maintenu par le vote populaire.
Je te soumets cette idée, mon cher Armand, qui témoignera du moins de ma confiance dans ton zèle et de mes vœux pour te voir grandir d'année en année dans la très noble situation que tu t'es déjà créé.
Offre mes biens fidèles sentiments autour de toi et ne mets jamais en doute ma plus constante affection.
Falloux