1871 |
6 décembre 1871
Vincent Audren de Kerdrel à Alfred de Falloux
Versailles, 6 décembre 1871
J'ai reçu trop tard votre petit mot, mon cher ami, j'avais donné des rendez-vous à Rennes samedi, à Laval dimanche, de telles sorte qu'il m'aurait été impossible de prendre le chemin d'Angers. Dieu sait cependant si j'ai besoin de causer avec vous. Si comme nous l'espérons tous vous venez prochainement à Versailles vous y trouverez une certaine amélioration dans les idées de plusieurs de nos amis. A part quelques incorrigibles qui sont revenus plus insensés qu'ils n'étaient partis et qui n'entendent pas qu'on mette M. le comte de Chambord aux voix, il me semble que l'on se rend généralement compte du mal que nous a fait le manifeste1. Le radicalisme se substituerait partout à l'opinion républicaine plus ou moins modérée, les hommes d'ordre voulant une monarchie, il est clair que l'Empire acquiert tous les jours des chances, si l'on ne présente pas au pays une autre monarchie et d'autre part on sent que la fusion est impossible à l'ombre du drapeau blanc. De ces aperçus si vrais et si généralement admis à la pratique il y a loin encore, c'est cependant déjà quelque chose que d'y voir clair. Je n'ai pas encore aperçu M. Thiers; à la veille peut-être de rompre complètement avec lui je crois cependant qu'il ne faut pas lui manquer d'égards et nous mettre par là dans notre tort. J'irai donc ce soir à la présidence. On se perd en conjecture sur le message, il fera un pas vers la droite prétendent les uns; d'autres affirment qu'il inclinera vers la gauche. Je crois moi qu'il sera incolore et ce sera déjà un grand malheur car il est temps que le gouvernement prenne une attitude et une couleur. S'il ne le fait pas, il ne nous sera que plus facile de lui déclarer la guerre; mais la fortune des combats est si remplie d'incertitudes que je me prends à souhaiter la paix dans l'ordre. Mettez moi aux pieds de vos dames. Votre bien ami.