CECI n'est pas EXECUTE 14 juillet 1866

Année 1866 |

14 juillet 1866

Jules Simon à Alfred de Falloux

Périgueux, le 14 juillet 1866

Mon cher ami,

Votre lettre vient me chercher par les chemins ; je suis ici pour fonder une bibliothèque populaire ; je serai lundi à Bordeaux pour le même motif, jeudi à Bayonne, pour des cours d'adultes, car j'espère en continuant ainsi arriver à Paris à la fin du moi pour un paure second prix que j'ai en rhétorique, au collège Bonaparte. Vous voyez par cet itinéraire que je ne pourrai causer avec personne de l'affaire qui vous intéresse1 ; et quand même je serai à Paris, il n'y a pas un seul journal où je mette les pieds ; l'ignoriez-vous ? Quant à mes collègues, ils doivent être aux quatre coins du monde. J'espère pourtant rencontrer à Bordeaux, lundi, Carnot2 et Pelletan3 ; je leur montrerai votre lettre. J'avais vu, avant de la ercevoir, Freslon4, qui hésitait beaucoup. Plusieurs de ses amis lui écrivaient de Maine-et-Loire, qu'il ne fallait pas diviser l'opposition – et par opposition, ils entendent le parti du gouvernement. J'ai trouvé cela curieux, moi surtout qui connait plusieurs des siganataires. Il fait savoir que dans l'Ouest, on ne connait d'autre distinction que celle-ci : les blancs et les bleus. Le gouvernement étant bleu, il rallie à ce titre beaucoup de libéraux, qui font consister le libéralisme à combattre quand même les légitimistes et les cléricaux. Je ne juge pas cette situation, je vous la raconte. Pour moi, je pense que tous les hommes d'un grand talent devraient être à la chambre, et que toutes les oppositions sont de l'opposition, sans que cela implique d'ailleurs aucun abandon de principes, ni aucune alliance proprement dite. En fin de compte, je ne puis rien ici, et je ne pourrais rien à Paris que d'accord avec mes amis politiques, qui, suivant toutes les probabilités, sont dispersés en ce moment aux quatre coins du monde.  Ainsi je ne vous réponds que pour vous dire que je ne vous réponds pas. Quant à l'amitié dont vous voulez bien me parler, vous savez, mon cher confrère, qu'elle est entiérement réciproque, - et j'ose dire que vous êtes très probablement dans mes dettes. Je vous sais gré d'être persuadé que je ne tiens pas le moindre compte des calomnies dont un homme politique peut être l'objet. Je suis un des derniers, hélas ! Dans notre pays, qui sache estimer et respecter. Adieu . Si vous me répondez avant dix jours, adressez-moi votre lettre rue Judaïque 162 à Bordeaux – et ensuite à Paris.

Jules Simon

                                                                              

Notes

1Candidat à la députation dans la circonscription de Baugé-Segré, suite au décés de Bucher de Chauvigné, Falloux cherchait alors à obtenir le soutien le plus large des opposants à l'Empire.
2Lazare Hippolyte Carnot (1801-1888), homme politique. Second fils de Lazare Carnot, membre du Comité de Salut Public, il étaita acquis comme son père aux idées républicaines. D’abord saint-simonien, il fut élu en 1839 député de l'opposition radicale sous la Monarchie de Juillet. Nommé par le gouvernement provisoire ministre de l’Instruction publique et des Cultes du 24 février au 11 mai 1848 et du 29 juin au 5 juillet 1848, puis ministre de l'Instruction Publique du 11 mai au 28 juin 1848. Hostile au projet d'enseignement déposé par Carnot, Falloux avait largement contribué à le faire repousser par l'Assemblée. Elu à la Constituante et à la Législative, Carnot fut un des rares élus de l'opposition républicaine sous l’Empire. Membre de l’Assemblée nationale en février 1871, il fut l’un des fondateurs de la Gauche républicaine. Il devint sénateur inamovible en décembre 1875.
3Pierre Clément Eugène Pelletan (1813-1884), écrivain, journaliste et homme politique. Libre penseur mais spiritualiste, il était un farouche adversaire du régime impérial.  Fondateur d'une véritale « dynastie » républicaine, il fut élu de la Seine de 1863 à 1870, puis des Bouches-du-Rhône de 1871 à 1876. Ministre sans portefeuille dans le Gouvernement de la Défense nationale du 4 septembre 1870, il fut élu par la suite sénateur des Bouches-du-Rhône de 1876 à 1884 avant d'^tre nommé sénateur inamovible quelques mois avant son décés.
4Freslon Alexandre Pierre (1808-1867), avocat et homme politique. Avocat, il était inscrit au bureau d'Angers. D'opinions libérales, il fut poursuivi le 17 juillet 1830 pour avoir participé à une manifestation contre  le gouvernement. Il se défendit lui-même et fut acquitté. Substitut du procureur du roi après la révolution de Juillet, il démissionna cependant dés 1832  en signe de désapprobation de l'orientation du nouveau gouvernement et reprit sa profession d'avocat. Il fonda en 1839 un journal républicain, le Précurseur de l'Ouest. Membre du conseil municipal d'Angers, il combattit le maire de la ville. Le 2 mars 1848 il fut nommé  procureur général près la cour d'appel d'Angers par le Gouvernement provisoire. Élu à la constituante, il vota avec les républicains de la nuance Cavaignac.  Lors du rapprochement de Cavaignac avec la droite, il fut, sous l'instigation de Falloux, nommé ministre de l'Instruction publique et des Cultes (13 octobre 1848). Il quitta le gouvernement le 19 décembre 1848 et le 25 août 1849, L.-N. Bonaparte le nomma  avocat général à la cour de cassation.  Réélu à la Législative, il ne fit point adhésion à l'acte du 2  décembre et redevint avocat au barreau de Paris. Candidat indépendant au Corps législatif lors des élections générales de 1863, il fut battu par Bucher de Chauvigné, le candidat officiel.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 juillet 1866», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1866, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 12/04/2013