CECI n'est pas EXECUTE 8 juillet 1866

Année 1866 |

8 juillet 1866

Pierre-Antoine Berryer à Alfred de Falloux

Angerville La Rivière par Malesherbes, Loiret

8 juillet 1866

Mon bon ami, votre lettre d'avant-hier m'arrive à Angerville où je suis venu prendre quelques jours de repos en la seule compagnie de ma belle fille. Ma présence à Paris ne vous serait guère utile1 en ce moment où presque tous nos amis sont allés aux champs, Thiers à Trouville, M. Duchatel2 à Chantilly ; ne pouvant vous servir que par correspondance  j'espère ne pas faire moins  par la poste de Malesherbes que par celle de Paris pour inspirer de bonne sréflexions et donner des encouragements. J'adresse à vous même mes premières exhortations ; votre lettre se termine en très mauvaises paroles. Il est pourtant sage et toujours généreux d'entrer en lutte en doutant de la victoire, mais la désirer peut-être moins que la défaite c'est laisser pénétrer en soi une pensée dangereuse parce qu'elle est énervante et blâmable dans notre vie de sacrifices. Soutenez votre bonne résolution par un sincère désir du succés ; je ne dirai pas avec l'esprit abstrait de Lamennais3 vouloir c'est pouvoir, mais la ferme volonté est une force qui se fait sentir puissamment sur ceux avec lesquels ou contre lesquels on a à agir. Veuillez donc à la manière des héros sans trop vous demander en face de l'ennemi combien sont-ils ?

J'en prends le parti d'écrire directement à Freslon et j'espère avoir plus d'influence sur sa détermination que n'en voudra avoir Dufaure qui penserait pour autrui comme il a pensé pour lui-même. Il en est à ne pas comprendre qu'on puisse voulloir essayer une lutte électorale, d'après ce que vous me dites de la position, je change tout à fait d'avis quant à la candidature de Freslon, évidemment il vaut mieux qu'il renonce à se présenter c'est ce que je lui demande en lui disant que j'attends de lui qu'il se prononcera nettement en votre faveur auprès de ceux de ses amis assez intelligents et assez sincérement libéraux pour reporter sur vous leurs suffrages.

Je ne connais ni Dutier4 ni Farran5. Mettez-moi un peu au courant sur leur compte et j'écrirai au plus vite à M. Thiers d'intervenir ou de faire intervenir auprès d'eux. Quelle que soit l'ardeur que montrent pour le succés de votre candidature, MM. Giraud6 et leurs amis, je pense qu'il sera bon de leur faire donner quelque <mot illisible> excitation par M. Duchatel. De votre côté écrivez à M. Guizot. Il se peut qu'un second tour de scrutin offre par la lassitude des paysans plus de chances favorables, mais il faut que le Ier tour soit sans résultat et je ne vois qu'un moyen de parvenir à ce qu'il y ait partage, c'est de susciter une troisième candidature non plus en la personne de Freslon ou de l'un de ses amis mais dans la nuance écarlate.

Répondez-moi ici. Dés que j'aurai moi même provoqué et obtenu des réponses je vous les ferais connaître en grande hâte. Tout à vous mon bien cher ami.

Berryer

Notes

1Il s'agit là encore de la candidature de Falloux à l'élection partielle de Baugé-Segré pour laquelle Falloux sollicitait l'appui de ses amis et de ses relations.
2Duchâtel, Charles-Marie Tanneguy, comte (1803-1867), homme politique. Entré au Conseil d’Etat en 1830, élu député en 1833 par le collège de Jonzac (Charete maritime); il fit peu après une brillante carrière ministérielle comme ministre de l’agriculture et du commerce à deux reprises, puis ministre des finances, enfin ministre de l’intérieur, notamment dans le cabinet Soult-Guizot (1840-1848). Suite à la révolution de 1848, il avait suivi Guizot dans son émigration outre-Manche. Revenu en France, il était resté à l'écart de la vie politique.
3Lamennais, Félicité Hugues Robert de (1782-1854), écrivain et homme politique. Devenu prêtre du diocèse de Rennes, il s'était fait dans un premier temps le champion de l'ultracisme. Fondateur du journal L'Avenir, auque collaborèrent Lacordaire et Montalembert, il y prône un libéralisme ultramontain qui l'amène à revendiquer la liberté de conscience, de presse et d'association, ce qui lui vait de vives oppositions de la part du clergé. En 1832, ses idées sont vivement condamnées par Rome (encyclique Mirari vos. Deux ans plus tard il publia Paroles d'un croyant, ouvrage dans lequel il rendait publique sa rupture avec l'Eglise. Proche des cercles républicains et démocrates, il se lia avec George Sand et Marie d'Agoult. Elu à l'Assemblée constituante en 1848, il se retira dans sa propriété de la Chesnaie, en Bretagne, au lendemain du coup d'Etat du 2 décembre 1851.
4Dutier Jean (1794-?), avocat et homme politique. Né à Baugé, il en deviendra le maire. Conseiller général du canton, membre de l'opposition de gauche, il est élu député de collége de Baugé de 1837 à 1848. Elu comme républicain modéré à l'Assemblée constituante en 1848, il vota le plus souvent avec la droite. A la fin de la session, il rentra dans la vie privée.  
5Farran, Antoine Jean (1791-1872), homme politique. Elu de centre gauche par le Maine-et-Loire sous la Monarchie de Juillet de 1837 à 1848,il fut réélu par ce même département sous l'Assemblée constituante et à la Législative où il rejoignit la droite. Il était demeuré étranger à la politique depuis le coup d'état du 2 décembre 1851.
6Giraud, Augustin (1796-1875), homme politique. Elu du Maine-et-Loire dés 1831, il y représentait la droite avant de rallier le centre jusqu'à sa défaite, en 1837. Réélu par ce même département à l'Assemblée législative, en mai 1849, il vota alors avec la droite.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «8 juillet 1866», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1866, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 04/04/2013