1881 |
10 novembre 1881
Albert de Broglie à Alfred de Falloux
10 novembre 1881
Cher ami,
Nos pensées sont tellement semblables qu'elles se suivent et s'accordent malgré la distance. J'avais trouvé comme vous qu'il fallait sortir de la situation fausse où nous étions vis-à-vis de Wallon et je venais de lui écrire à peu près dans le même sens que vous ; je lui promettais mon concours personnel, sauf le cas où l'évêque1 serait candidat2, mais je me déclarais comme vous incapable de garantir un succès certain. Il vient de m'écrire qu'il renonce pour cette fois à toute candidature, sauf à reprendre des prétentions quand son histoire du tribunal révolutionnaire sera finie3. Probablement nos deux lettres seront arrivées en même temps, et l'auront décidé. Tout est donc simplifié, et j'ai tenu à Mazade4 le même langage que vous. J'ai réservé ma liberté si l’évêque se présente et n'ai pas craint de lui assurer qu'à part cette préférence qu'il a bien comprise tous mes vœux l'appelaient à la succession de M. Dufaure5. Je voudrais que la politique ne présentât pas de plus grande difficulté mais je viens d'assister aux quatre jours de discussion et n'en suis guère plus avancé. L'attitude de la chambre était déplorable. C'est une servilité en quête d'une moitié à qui obéir. Elle aurait défendu Ferry si Gambetta n'avait d'avance fait retirer ce plat personnage. Elle défendra Gambetta quand il sera au banc des ministres. La seule différence avec la chambre précédente c'est que la passion contre la droite semble faire place au dédain, et que la peur de l'extrême gauche et des intransigeants est visible sur tous les visages. Si Gambetta veut exploiter ce sentiment il peut se faire une majorité relativement conservatrice. Mais il faut alors qu'il se résigne à l'hostilité violente de tout le parti radical de France et qu'il gouverne comme la monarchie de Juillet et l'Empire, en guerre avec la ville de Paris. Je doute qu'il ait ce courage.
Quant au sénat, je ne vois pas trop ce qu'il peut faire sur une question aussi épuisée que celle de Paris. En face d'un ministère défunt, et d'un nouveau cabinet qui peut demander qu'on lui laisse le temps de se tirer des difficultés qu'il n'a pas créées. Nous avons manqué le coche.
Mille amitiés.
Broglie