CECI n'est pas EXECUTE 16 janvier 1872

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16 janvier 1872

Gabriel de Belcastel à Alfred de Falloux

16 janvier 1872

Monsieur le comte, le désir que vous voulez bien exprimer par votre lettre du 9 janvier, de connaître mon très humble avis m'honore trop pour que je n'y réponde pas en toute franchise et ouverture de cœur. Ce sont en effet les seuls titres que vous ayez pu me supposer. Soyez assez bon je vous prie pour me permettre de les traduire sous forme de questions, telles, avec un peu plus de développement que j'avais l'honneur de vous les soumettre, il y a quelques jours, dans la réunion dont vous évoquez le souvenir peut-être de ces questions ainsi posées sortira-t-il une solution aussi nette que si j'avais procédé par thèse et en dogmatisant.

  1. Le drapeau qu'il s'agit de faire accepter ou pour mieux dire d'imposer - car l'arbitrage y arrive tout droit - à M. le comte de Chambord est-il un signe neutre aux inoffensives couleurs ? Tout ce bruit qui se fait autour de lui est-ce une discussion platonique pour décider au point de vue du droit à qui, de la nation ou du monarque, appartient le choix du signe et si ce signe est immuable ? .. loin de là ! L'histoire signale, il est vrai dans les péripéties de la marche nationale à travers les siècles, divers drapeaux se succédant tout à tour; l'oriflamme; l'étendard bleu fleurdelisé ; le drapeau blanc. Mais ces pavillons successifs du peuple de France et de son roi sont suivis par une transformation régulière et tranquille, quelquefois même insensible dans ses progrès. Nous ne voyons nulle part qu'ils se fassent la guerre l'un à l'autre; nous voyons moins encore qu'entre celui qui arrive et celui qui s'en va l'on puisse discerner un vainqueur, un vaincu. En présence du drapeau blanc, en est-il ainsi du drap tricolore? Est-il le signe régulier d'une paisible évolution ?Non! M. le comte, un drapeau qui trois fois en un siècle se lève contre son aîné représentant l'autorité légitime et le renverse violemment; un drapeau flottant sur l’échafaud du 21 janvier, le drapeau de Santerre à l'heure où le roulement de tambour impie ravira à la France l'adieu du roi martyr, n'est pas un signe indifférent. Il faut de grands efforts pour le transformer en naturel emblème de concorde et pour ma part j'ai quelque peine à me le figurer ombrageant le front d'illusions dans son retour à travers la place régicide vers le palais d'où ses trois couleurs l'ont chassés. Votre âme patriotique le sent mieux que personne, M. le comte, il faut que le Roi puisse aimer à plein cœur sans arrière pensée l'étendard national. Il faut qu'il puisse aux grands jours sans le regard du monde et de ses aïeux, le présenter contre sa poitrine en plein honneur et pleine dignité. Or je vous le demande n'est-il pas vrai que les lèvres du petit fils de Charles X noyées dans ces plis où  tant de souvenirs se croisent, même en touchant les fleurs de lys que vous voulez y mettre tressailliraient d'une étrange émotion? En vérité, M. le comte, imposer à la victime de tant de ruines l'amour du symbole qui les a faites est au-dessus de notre pouvoir et au-dessous de notre devoir. Et pourtant cet amour est de rigueur pour que la royauté produise tous ses fruits. Ne dites pas que le sacrifice d'un sentiment personnel en montrant l'abnégation, relèvera le prestige du Roi. Non ! car ce n'est point ici la personne, c'est le roi qui est atteint. Le drapeau tricolore n'est le signe d'une haine qui poursuive l'homme c'est l’emblème de l'insurrection contre le droit héréditaire.

    II. Vous pensez M. le comte que les héritiers du trône ayant la nue propriété ont autant de droits  que l'usufruitier royal et presque d'avantages à discuter en commun les conditions de sécurité de sa restauration. L'hypothèse admise, peut-on dire que les princes d'Orléans soient des héritiers ordinaires ? Ici la matière est délicate, l'idée se sent mieux qu'elle ne s'exprime, mais votre sagacité la saisira vite sans qu'il soit besoin d'insister. Les droits d'une famille à discuter les conditions de solidité d'un héritage sont-ils les mêmes lorsque à  deux reprises elle a pris part à la violation ou en a profité? Une pareille situation fait présumer dans le passé le fait d'avoir mal compris le principe. Elle commande à l'heure actuelle une grande réserve dans les exigences. N'objectez point que c'est faute de l'avoir appelé dans ses conseils que la Monarchie a succombé. Car la même famille a conduit le navire à son tour et le navire a sombré. Et puis pour constituer un conseil de famille tel que vous l'indiquez ne faut-il pas au préalable que la famille entière soit unie ?

    III. Êtes-vous sûr M. le comte que la question du drapeau soit la seule difficulté, qu'il n'y ait point, en la matière de divergence plus grave, plus profonde ? Êtes-vous sûr par exemple que la souveraineté nationale soit comprise de la même manière par  les Princes d'Orléans et le Comte de Chambord ? Non ! Vous l'ignorez absolument. Vous craignez de vous en informer; vous ne voulez pas le savoir! Vous posez sur une équivoque la première assise de l'édifice monarchique, et vous vous étonnez que l'édifice croule au moment où il touche terre, je veux dire: au moment où il passe de la région des projets et des plans dans la réalité des faits! Et cette chute n'est point pour vous une lumière ? Et vous ne sentez pas, avant tout, l'accord  sur ce point fondamental! Est-ce là une politique sage ?, une politique prévoyante, en garde contre les surprises ? une politique d'avenir et de stabilité ? Est-ce là une politique conforme aux lois providentielles de régénération morale, qui sont les mêmes après tout, pour les plus grands entre les peuples que pour la plus obscure entre les âmes, et dont la première la plus inéluctable est la reconnaissance de la vérité, mais de la vérité nécessaire, et lorsqu'il s'agit de monarchie de l'<mot illisible> monarchique ? Veuillez me pardonner, M le comte de m'exprimer avec vivacité. Si j'avais besoin d'excuse je vous dirai: "J'aime la France et je parle à un homme qui l'aime, qui cherche de la meilleure foi le moyen de salut qui par sa grande intelligence peut exercer une puissante action sur ses destinées". Je vous dirai ensuite "J'ai posé la main sur la place vive de mon pays, je me sens ému". Oui M. le comte l'obstacle est là !La souveraineté nationale dans la Monarchie signifie donc ceci: "La Nation est constituée de telle sorte que le pouvoir national fonctionne par un roi héréditaire délégué permanent que le Roi et le Peuple, deux éléments dont la combinaison est nécessaire à l'intégrité du droit, arrivent à former au fond une seule et même chose: la vie pleine et régulière de la Nation. Savoir qui a fait cette Constitution primitive des peuples monarchiques c'est de quoi il n'est pas question. Secret de Dieu, œuvre des siècles, qu'importe son origine ? Pour nous c'est un fait quinze fois séculaire dont la racine plonge dans la nuit des temps. Le droit national de la France est l'hérédité inviolable dans le monarque à moins d'apostasie ou de tyrannie intolérable, et dans ce cas, ce n'est point la foule qui hurle dans la rue dont l'arrêt fait loi:c'est un arbitrage plus haut. Tel est le code pur des royautés libres et chrétiennes et la théorie successive du droit divin des rois, prélude à leur absolutisme, en est la première déviation. Mais si l'on entend par souveraineté nationale un droit du peuple séparé de choisir à toute heure, même aux heures de crises, de choisir la forme et le dépositaire du pouvoir; si pour que le peuple obéisse à une autorité, il faut qu'il l'ai créé de toutes pièces, alors il n'y a plus de monarchie plus d'hérédité. C'est la consécration du plébiscite: c'est la France livrée au caprice et à l'aventure, jouet d'une perpétuelle oscillation entre le césarisme et la démagogie, servant tous les maîtres pour ne pas choisir de chef légitime. Nous sommes bien d'accord, n'est-ce pas M. le comte sur ce point. Et il est nécessaire d’après vous comme d’après moi que les restaurations de la royauté adhérent à ce principe fondamental. Eh bien ! Que les Princes d'Orléans commencent par le reconnaître ! La France suivra: elle sera sauvée. Un pareil résultat vaut du moins qu'on le cherche et c'est vers eux, non vers le comte de Chambord que vos efforts de persuasion doivent être tournés. Ah! vos intentions sont généreuses! Je le sais. Vous voulez par cette ombre laissée sur le point culminant, citadelle du droit, vous voulez en faciliter l’accès et ménager les susceptibilités. Vous cherchez une forme de ralliement qui n'efface rien du passé, en se contentant de fonder l'avenir. Mais permettez-moi de vous le dire, M. le comte vous poursuivez la solution d'un problème impossible. Nous pouvons nous taire et nous nous taisons absolument, à l'heure du retour, sur les événements du passé. Nous pouvons dire ou accorder facilement que Louis-Philippe en acceptant le trône, a cru concourir au salut de la France; mais le silence des hommes ne peut couvrir la voix des choses; et il est impossible de reconstruire le principe héréditaire sur des bases solides, i e. de le reconnaître comme supérieur à la volonté des générations qui passent sans qu'il ressorte implicitement de cette reconstitution même: violer le principe a été un malheur. Quoi M. le comte vous croyez que M. de Chambord se couvrirait d'honneur en accomplissant au prix des plus intimes et des plus saintes répugnances le sacrifice du drapeau de ses pères, et vous pourriez ne pas voir l'immense honneur que se ferait M. le comte de Paris, en reconnaissant purement et simplement au prix du drapeau de 1830, le droit héréditaire d'Henri V ! Au nom de la logique croyez au moins à l'un autant qu'à l'autre! D'ailleurs cette reconnaissance du principe entraîne-t-elle l'abdication absolue des idées personnelles de Mgr de Paris ? En se déclarant l'héritier présomptif de la couronne de France, est-il besoin qu'il fasse à l'encontre des points du manifeste qui n'exprimeraient pas sa manière de voir, une profession de foi qu'il penserait aujourd'hui, qui demain peut-être aurait cessé d'être la sienne ? Nullement. Et ici M. le comte se dégage naturellement la solution conciliatrice qui se présente avec hésitation et sous ma seule responsabilité prête à céder la place à une meilleure si elle se présente. Que M. le comte de Paris déclare publiquement faire son adhésion à l'unité monarchique héréditaire et accepter le drapeau blanc de M. le comte de Chambord jusqu'à la mort de ce dernier représentant de la branche aînée. Âpres quoi la Nation et son nouveau roi aviseront. Cette solution réserve bien des choses dans la pensée intime de M. le comte de Paris et les réserve mieux encore qu'un exposé de principes puisqu'elle lui laisse la faculté de se mûrir elle-même : d’autre part elle donne satisfaction à M. le comte de Chambord puisque le cri de son âme, au sujet du drapeau a été: ....qu'il ombrage ma tombe ! Permettez moi maintenant M. le comte de répondre à vos objections principales.

    1. Vous dites "la difficulté n'est pas de conserver le drapeau après 20 ans de règne, mais de le faire arriver" Je conviens avec vous j'espère autant que vous qu'il peut et doit devenir plus sympathique, plus glorieux et plus aimé à mesure qu'il sera plus en action et plus connu. C'est l'affaire de l'avenir. Convenez aussi que la défiance actuelle envers lui s'apaise; s'il n'est que temporaire et s'épuise à chaque jour qui passe. Convenez surtout que si M. le comte de Chambord accepte cette solution, et qui l'en empêche, un pas immense est accompli. Votre objection se heurte d'ailleurs à sa contrepartie qui tout au moins le neutralise car je puis vous dire: La difficulté n'est pas de faire arriver la monarchie dans des conditions quelconques; c'est de la rétablir dans de franches dans de puissantes conditions de vie. Si vous la mutilez pour la rendre au pays et qu'il y ait rupture demain, vous aurez gagné un jour, vous aurez perdu l'avenir à jamais. Tout le monde n'a pas le génie et la force de Sixte Quint pour jeter ses béquilles après le sacre et je ne crois pas que le fils de St Louis juge digne de son caractère de les pendre avant le sacre pour acquérir le trône. Vous ajoutez M. le comte : "Le manifeste n'est pas le symbole de ses doctrines. Vous croyez à l'erreur du roi; vous la subissez en courbant la tête: magister dixit" Puis vous rappelez dans le passé les résistances fameuses aux monarques régnants, vous montrant les édits royaux reculant devant les parlements et vous jetez l'anathème sur la complaisance fatale des courtisans du trône qui le laissent courir à l’abîme au lieu de l'arrêter. Certes M. le comte l'attaque est vive elle serait habile si elle était juste. Vous touchez au point sensible chez des hommes de cœur qui ont cru ne jamais donner à personne le droit de les laisser en arrière, en indépendance et en indignité. Mais par fortune, mauvaise pour elle bonne pour nous l'attaque est en même temps d'une suprême injustice. Car vous voudrez bien le reconnaître M. le comte ceux que vous accusez de molle complaisance ne sont pas précisément les plus flexibles devant les maîtres des temps nouveaux. Ce sont là qui ne craignent pas pour sauver l'arche royale portant le salut du peuple, de heurter le flot populaire et que l'on trouve toujours tête et poitrine haute en travers du courant des idées modernes qui bat en brèche avec furie toute autorité, tout principe et toute vérité. Ce sont eux qui disent à la souveraineté du nombre "Nombre tu n'es pas roi. Tu ne peux pas changer l'existence des choses ni la constitution native d'un peuple, ni ajouter une coudée à la taille de l'homme se dressant contre Dieu ni retrancher à la vérité un iota. La vérité elle est ta reine, maîtresse et ton juge". Et ce sont ces hommes qui seraient des serviles et des flatteurs! M. le comte vous ne le pensez pas. A un autre point de vue en outre elle est aussi injustice, car j'en ai dit assez pour vous montrer que les doctrines du  manifeste ont la sympathie du fond de nos âmes. Il va sans dire d'ailleurs qu'elle n'ont aucun rapport avec aucune idée d'ancien régime, contre laquelle, autour de nous, M. le comte de Chambord a protesté résolument en jetant à cette accusation le mot de calomnies. Mais laissons de coté les questions de forme et allons au fond. Les remontrances et les refus d'édit dans ces temps de force étaient partie intégrante de la Constitution monarchique: c'en étaient des rouages et des supports. Leurs organes, corps constitués aussi de longues mains étaient autorisés et acceptés d'avance par le peuple et le Roi. Ils n'ébranlaient en rien un principe incontesté jusque là. Des résistances particulières et formelles s’exerçaient rarement dans la publicité ; elles se mouvaient dans une sphère restreinte de points de détails et d'ordres spéciaux; si la sphère s'élargissait, elle était du moins déterminée d’avance, une seule fois dans le cours des âges monarchiques, on trouve une résistance radicale à l'héritier du trône, c'est lorsque Henri IV étant séparé d'elle par la foi, la France par son énergie sauva sa foi, son Roi et sa liberté. Mais je vous le demande M. le comte, peut-on mettre sur la même ligne la défense du catholicisme et la défense du drapeau tricolore ? Pareil rapprochement offenserait votre conscience et par suite dépasse à coup sûr votre pensée; pour ma part, je ne puis l'accepter.

    2. Le drapeau tricolore est un préjugé vous l'avez dit. Le catholicisme est la vérité. Peut-on de bonne foi regarder comme deux politiques de valeur égale, celle qui subit un préjugé, celle qui embrasse la vérité ? Ce n'est pas tout! Avant de refuser ces édits royaux, combien les parlements en avaient-ils enregistrés ? L'exception confirme la règle dit le proverbe. Là comme ailleurs cela s'est vu. Une longue tradition d'édits enregistrés, interrompus par quelque uns moins lemeur (?) était assez forte pour ne pas souffrir de ces résistances, entrant d'ailleurs dans le plan général. Mais aujourd’hui la situation est-elle la même ? Où est la tradition la Constitution monarchique  debout pour déterminer la sphère des résistances ? Où sont les corps constitués de longue main qui les régularisent ? Où est le prestige qui les rend sans péril, où est le point fixe qui les arrête ? La tradition depuis 80 ans ne se compose que de résistances devenues émeutes, lesquelles, au grand dommage des peuples ont englouti la royauté. L'organisation sociale est en poussière: de Constitution monarchique, pas l'ombre. Elle est toute entière à rétablir dans notre malheureuse patrie, et c'est dans une situation pareille avant tout acte obéi de sa part, que vous voulez la faire débuter par le désordre de son premier acte grave, de l'acte le plus éclatant de son représentant lorsque la nécessité la plus urgente est de relever son prestige, vous voulez qu'elle arrive ainsi courbée sous ce que vous appelez le joug de la nécessité, mais qui n'en est pas moins l'oppression et l'abaissement de la couronne paraissant à l'horizon. Quelle inauguration! Quelle sombre aurore! Se livrant dés le premier jour il arriverait ce qu'il arrive à d'autres, elle se livrerait sans cesse. On lui dirait fait ceci, puis cela; puis: subis cet outrage et enfin retires toi. Mais la monarchie serait contractuelle dirait-on. Je ne connais point de contrat s'il n'y a point de juge qui l’interprète. En dehors de là c'est le droit du plus fort ou du plus rusé. C'est lui qui devient le maître du contrat et de l'autre partie contractante. D'autres s'écrient, M. le comte, et le serment des Aragonais ! Ah! le beau serment celui là! Le serment des hommes vraiment libres enfantés par les ages de foi. Mais à l'heure où il se prononçait il y avait au centre de l'Europe, au faite de la république chrétienne un homme qui de l'aveu de tous, peuples et rois était le juge et le modérateur dans les grandes querelles, liait ou déliait du serment de fidélité si bien que par lui, le principe d'autorité était toujours debout. Est-ce là ce qu'ils veulent et ce que vous voulez ?

    3. Vous voudrez bien me permettre M. le comte de ne pas m’arrêter beaucoup à une autre objection que vous avez présenté laquelle frappe d'abord mais ne tient pas devant les faits. Elle consiste en ceci: l'arboration du drap blanc donne en même temps un signe et un mot d'ordre à la révolution. L'acceptation du drapeau blanc lui ravit le mot d'ordre et le signe. En premier lieu M. le comte c'est une entreprise vaine que de vouloir enlever à l'émeute un mot d'ordre, elle en trouvera toujours après celui là un autre soyez en sur. En second lieu l'objection aurait de la valeur si le drapeau tricolore n'avait jamais été battu par d'autres emblèmes. Mais il n'en est pas ainsi, trois fois l'histoire contemporaine le montre en révolte contre lui-même, en 48, en 53 (ou 52 ?), en 70. N'oubliez pas que ce drapeau est aussi non seulement entre les mains de la république mais encore dans celle de l'Empire et qu'il y est avec un sens et qu'il y est dans un sens plus logique que dans nos mains et dans celle des princes d'Orléans, plus logique car au point de vue de la volonté nationale, il se targue plus haut du principe et au plus loin  que tous il arrive au plébiscite et le manie comme vous savez. Plus complet car au point de vue des conséquences sociales de 89 il est de beaucoup le plus hardi et se dit la Révolution même et promet davantage aux masses, il va jusqu'aux confins du socialisme égalitaire, si même il ne les franchit pas dans son programme un jour !

    4. Enfin M. le comte je viens à votre argument suprême que vous tenez pour décisif en faveur de votre idée et qui à mes yeux confirme la nôtre. Vous peignez l'avenir avec des couleurs aussi sombres que vraies et vous vous écriez: "La France va périr: entre un César socialiste et une guerre de sauvage dans la rue, il n'est qu'une voie de salut: la Royauté ; il faut donc à tout prix la refaire par les seuls moyens qui soient en notre pouvoir le préjugé national et trop enraciné pour l'arracher de l'âme du peuple il faut tel quel le prendre et tourner tous nos efforts vers M. le comte de Chambord pour lui persuader d'accepter l'arbitrage de l'Assemblée. Si nous voulons sauver le pays voilà l'inévitable dénouement". A cette objection radicale, une réponse radicale aussi ressort déjà de tout ce que j'ai eu l'honneur de vous développer. J'en résume la substance en deux mots et ici les questions de couleur palissent devant les problèmes redoutables dont l'avenir est chargé.  Oui !, la Monarchie sera le salut de la Patrie si elle est fidèle à elle-même et à sa mission, si elle est posée sur ses véritables bases, si elle revient comme un principe inviolable contre lequel ni les intrigues ni les émeutes ni la majorité d'un jour ne peuvent prévaloir. Oui! si avec elle on reconnaît la nécessité de l'autorité considérée dans son essence, si elle apporte avec elle la notion sociale du bien et du mal, laissant au bien sa pleine liberté, ne tolérant le mal que ds ses manifestation inévitables, et les réprimant vigoureusement ds ce qui trouble, d'une manière profonde l'ordre public. Oui! si la royauté a pour devise inaltérable des trois mots Religion, Famille, Propriété, sans oublier jamais aucun des 3; si, avant de réclamer ce qui est à elle, elle rend à Dieu ce qui est à Dieu; si en un mot, elle est la royauté chrétienne, si elle n'est pas la Révolution. Non! la monarchie ne sauvera pas la France et ne peut la sauver si elle n'est qu'un expédient de plus dans le service des expédients qui depuis un siècle s'usent tour à tour et usent avec eux le ressort national; si elle n'est que la trêve d'un jour entre deux principes contraires et inconciliables dans le même sujet. Non ! si elle doit être la servante aveugle du préjugé, si elle proclame un laissez faire et un laissez passer systématique; si elle supporte dans la presse sous le couvert de liberté, ce qu'un de nos collègues républicains pourrait appeler l'infamie de la presse, si elle ne se résigne qu'à n'être qu'un instrument d'éternels compromis et ne bascule sans fin si elle reconnaît au mal et à l'erreur les mêmes droits qu'au bien et à la vérité. Non !la monarchie ne sera pas le salut si elle suit ou consacre à un degré quelconque le principe révolu, car par son origine légitimée elle en serait l'agent plus dangereux qu'un autre, se profanant ainsi elle même elle perdrait avant tout droit au respect toute la raison d'être, elle achèverait de submerger le principe d'autorité. Plutôt qu'une pareille royauté je dirai qu'on me ramène aux gémonies en d'autre termes qu'on nous laisse la République. En république on peut faire encore de bonnes lois vous en savez quelque chose M. le comte. En vain insistez vous sous l'empire de vos alarmes mais c'est une arrêt fatal pour l'avenir de la Patrie! Nous ne "pouvons le subir. Cédons à l'esprit public pour le ramener et le guérir ensuite son éloignement actuel des conditions posées par M. le comte de Chambord est un fait brutal contre lequel on ne raisonne pas vous ne pouvez le changer, acceptez le". Je vous dirai la mort dans l'âme que voulez vous, nous n'y pouvons rien. Il existe une brutalité plus grande et plus inflexible que le fait d'un peuple c'est l'essence des choses: un peuple peut changer,  l'essence des chose ne change pas. Les sophismes les préjuges les pressions les intérêts les plus beaux talents et les plus frais génies se brisent contre elle. Elle demeure éternellement propice à ceux qui la respectent, inexorable à ceux qui la violent. On ne peut pas faire on ne fera jamais que le peuple français atteint du mal de la Révolution puisse guérir sans réserve le poison qui la tue. La mort ne peut enfanter la vie. Je rencontre dans mes souvenirs, avant de clore ma lettre, M. le comte, la pittoresque comparaison des deux vaisseaux dont l'éclat m'a séduit dans votre bouche que je gâterai certainement en le reproduisant mais qu'au point de vue politique vous voudrez bien me permettre de certifier dans les conclusions. Deux navires traversent les mers. Sur l'un le comte de Chambord tout seul sur l'autre les Princes d'Orléans et leur magnifique lignée. Si le premier vient à périr dites vous la race royale sauve sur l'autre bord, l'avenir gardé rien n'est perdu. Si le second seul est englouti, la race morte, morte aussi l’hérédité royale et la vérité. Eh bien M. le comte laissez-moi vous le dire c'est prendre par le coté matériel et le moins haut la grande idée du principe héréditaire du trône. Je me trompe sans doute mais c'est autrement que je la considère. Si le vaisseau qui porte les princes d'Orléans s’abîme dans les flots c'est un grand malheur, mais le comte de Chambord est là, en lui réside l'intégrité du principe en revenant à lui on retrouve la force morale toute entière et après lui la Nation rentre dans son droit primordial avec la conscience rendue par son retour d'avoir gardé le pacte jusqu'au bout. Si le vaisseau d'Henri V disparais avec lui la France a perdu pour toujours l'heure de revenir au vrai principe. C'est un désastre peut-être irréparable car la légitimité du hasard des flots qui rejaillirait alors sur la tête du comte de Paris avant qu'il ait salué le principe sur une autre tête laisserait un doute permanent sur le retour du peuple et de lui même à la pureté du principe héréditaire et le doute projetterait une ombre immense sur l’avenir de la Patrie. Cela veut dire M. le comte que nous n'avons pas le choix à faire entre les deux navires. Que Dieu les garde tous les deux ! Qu'au lieu de voguer parallèlement sans se rencontrer jamais ils tendent vers un but commun et abordent en frères au sommet dépouillé ces Constitutions françaises pour lui rendre l’éclat et la fécondité ou plutôt car ces deux vaisseaux sont de trop pour porter un seul espoir et un seul principe que les Princes d'Orléans descendent de leur navire et montent sur celui du Roi. Une gloire qu'ils ne soupçonnent pas descendra sur leur front ils seront à leur tour l’ornement la vie et la beauté de l'équipage alors la France à la vie de ce navire unique et plein d'une majesté incomparable comprendra l'approche du roi prédestiné. Il est digne de vous M. le comte de travailler à cette œuvre féconde de la réconciliation d'une grande race et de la régénération d'un grand peuple. La hauteur de vos services passé est à la mesure de ceux que l'avenir attend de vous. Veuillez excuser M le comte la longueur et le retard de ma lettre deux fautes dont j'invoque la première comme excuse à la seconde. L'une et l'autre vous prouvent le prix que j'attache à votre pensée comme à votre action et c'est avec les sentiments d'un reconnaissant respect pour vos œuvres et votre grande intelligence que je vous prie d’agréer l'hommage de ma haute considération. P. S. N'ayant pas trahi votre pensée, je l'espère du moins, et vous parlant avec les égards que je vous dois en face d'ailleurs des questions soulevés en public, c'est très probable que je serai amené à publier ma lettre ds quelques jours sous une forme ou sous une autre mais de préférence en petite brochure destinées à vos amis. C'est au moins mon idée actuelle; si elle sert ou consacre à un degré quelconque le principe révolutionnaire.

    G. de Belcastel


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «16 janvier 1872», correspondance-falloux [En ligne], 1872, Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 09/04/2013