Paris, 7 mai 1848
Notre assemblée bien que fort tumultueuse est décidément anti-Ledru et positivement Lamartine. Ce qu'elle sera au point de vue religieux n'a pu encore se dessiner, toutefois je crois qu'elle ne voudra se lancer dans aucune grande lutte inutile de ce côté et que le pire fut qu'elle continue les traditions antérieures sans les aggraver. M. de Lamartine m'a fait l'accueil le plus gracieux et le plus distingué; hier au soir il m'a fait passer dans son cabinet avec M. Sénard1, le vice-président de la chambre et nous avons délibéré tous trois sur la composition du futur gouvernement. Le seul péril de la France aujourd'hui, c'est qu'elle n'a pas d'hommes, car la situation en elle-même mise en mains fermes et sûres deviendrait tout de suite excellente. L'assemblée veut renvoyer Ledru-Rollin et L. Blanc du pouvoir. M. de Lamartine veut aussi qu'on le fasse mais timidement, peu à peu, ce qui dans la pratique équivaudra à pas du tout; en tout cas l'assemblée en délibérera et décidera d'ici à fort peu de jours, et je suis convaincu que le plus tôt sera le plus sûr et le plus pacifique. Je suis fort bien placé dans la salle à côté de M. Demesmay2 (l'auteur de la proposition sur le sel), M. de Malleville3, et M. Coquerel4, le pasteur protestant qui avait si bien parlé de M. Guerry5. L. Blanc parle d'une manière on ne peut plus pittoresque et infiniment plus agréable à entendre que les vieux ronflements de M. Barrot. Ledru-Rollin m'a serré la main comme à une vieille connaissance. Je viens de voir le P. Ravignan, il ne parle pas de Rome comme Frédéric6, mais il n'a pas de crainte, dit-il, pour la vie du Pape7 ni pour l'avenir de l'Italie. Quant au reste, il considère une crise républicaine comme inévitable d'un bout de l'Italie à l'autre8.
Notes
Sénard Antoine Marie Jules (1800-1885); avocat, il fut nommé procureur général à Rouen en 1848. Vice-président puis Président de l'Assemblée nationale, il entrera comme ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Cavaignac.
Demesmay Philippe Auguste (1805-1853), homme politique. Maire et sous-préfet de Pontarlier dans le Doubs, il fut également réguliérement élu député de ce département de 1842 à sa mort.
Maleville Léon François Jean de (1803-1879), homme politique. Député du Tarn-et-Garonne, de centre gauche (1834-1837) puis membre de l'opposition libérale (1837-1842), puis du centre jusqu'à la révolution de 1848. Réélu par ce département à l'Assemblée constituante, il siège à droite. Élu de la Seine à l'Assemblée législative, il continue de siéger à droite. Entré, comme ministre de l'Intérieur, dans le premier gouvernement Barrot, le 20 décembre 1848, il démissionnera quelques jours plus tard suite à un désaccord avec le Président de la République. Rentré dans la vie privée, il ne revint sur la scène politique qu'après la chute de l'Empire. Élu du Tarn-et-Garonne en février 1871, il siégea avec le centre gauche s'opposant aux projets de restauration monarchique. Élu sénateur inamovible le 10 décembre 1875, il prit place au centre gauche.
Coquerel Athanase (1797-1851), pasteur de l’Église réformée de Paris.
Guerry, André-Michel (1802-1866), statisticien français, il avait publié l’Essai sur la Statistique morale en France qui fut couronné par l’Académie des Sciences morales et politiques en 1833. En 1860, il publia la Statistique morale comparée de la France et de l’Angleterre. Ami de G. de Beaumont, il bénéficiait de son soutien pour entrer à l’Académie des sciences morales et politiques.
Son frère, le cardinal Frédéric de Falloux est cardinal à la cour de Rome.
Pie IX, pape depuis 1846.
Comme la plupart des catholiques, Falloux est très attentif à ce qui se passe en Italie. Le 25 avril, le pape Pie IX avait refusé de s'associer à une guerre contre l'Autriche provoquant la colère des républicains romains.
Notice bibliographique
Pour citer ce document
, «7 mai 1848», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, Seconde République, Années 1848-1851, Année 1848, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 20/10/2011
