CECI n'est pas EXECUTE 11 avril 1871

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11 avril 1871

Camille de Meaux à Marie de Falloux

Versailles, 11 avril 1871

Madame,

Vous ne me faites pas l'injure d'en douter je l'espère ; il n'est pas de suffrage que j'ai autant l'ambition de mériter que ceux qui viennent du Bourg d'Iré ; j'ai la confiance qu'il m'en viendrait aussi au besoin des avertissements et des censures et je le réclame avec instance. Si je ne vous ai pas remercié sans retard de votre si bonne lettre, c'est que je voulais le faire avec quelque loisir et je ne sais trop si à distance nous paraissons travailler ; mais ce que je sais bien, c'est que ceux qui veulent de près mettre la main à la besogne n'ont plus guère de temps qui leur appartienne. En définitive cette assemblée est excellente, composée des plus d'honnêtes gens de France et d'honnêtes à qui nos malheurs ont appris à devenir désintéressés : elle a fait déjà une grande chose : rester debout et souveraine en face d'une révolution maîtresse de Paris ; je crois que cela ne s'est jamais vu en France depuis quatre vingt ans ; chaque jour dans tous ses votes, elle montre mesure, patience, sagesse et j'entendais l'autre jour un loyal républicain me dire qu'elle était la plus réformatrice qu'on eut jamais élu en France (1). Mais, je le crains, devant le public et vis à vis d'elle même, elle perd le bénéfice de ses grandes qualités par de petits défauts.

J'ose dire cela autant de nos amis quoique à mon sens, ils se soient trompés hier en s'engageant à la suite et sur la foi de Mr. Baudot1 dans un système absolument impraticable, toutefois jusqu'ici leur conduite a toujours été sage, leur attitude ne l'est pas. M. Thiers est entraîné presque chaque jour à donner des leçons à l'assemblée ; je regrette  pour lui comme pour nous qu'il les donne, mais je regrette plus encore que nous les méritions. Une fois la bataille finie, il faudra bien que le gouvernement cherche son point d'appui là où est la force et une modification ministérielle dan le sens de la majorité me paraît inévitable, d'autant plus que M. Picard comme ministre de l'Intérieur est absolument  insuffisant et dépourvu de talent aussi bien que d'autorité. Quant à l'avenir, il me semble que nous devons être prêts ; mais sans paraître pressés. Vous savez d'ailleurs qu'à quelques pas d'ici on n'était ni [mot illisible] ni disposé à l'effrayante besogne à laquelle nous sommes condamnés aujourd'hui. Demain, une fois Paris repris (personne ne peut dire encore à quel prix), demain les difficultés intérieures reparaissent ce qu'elles étaient hier et les occasions peuvent devenir prochaines. Entre les partis (je ne sais si mon inexpérience me rend naïf) mais l'accord me paraît aussi complet qu'il peut l'être avant l'action : on me dit qu'au dessus des partis nous aurons aussi dans peu de jours des gages d'union. Quant à nous, j'ai la confiance que cette union se manifestera dans nos lois réformatrices. Tout ce qui est mesure d'urgence nous sommes obligés, ce me semble, aujourd'hui de l'accorder au gouvernement à peu prés  comme il le demande et dés lors nous devrions l'accorder de bonne grâce: tout ce qui est mesure d'avenir  nous devons nous le réserver, presque sans qu'il y intervienne ; car autant je crois M. Thiers indispensable dans le premier cas, autant je le crois insuffisant et j'oserais dire incompétent sur beaucoup de ces questions d'avenir. La distinction sans doute est délicate et c'est peut-être pour ne pas en savoir toujours faire que nos amis sont exposés à s'égarer puis à se dégager. Qu'y a-t-il, Madame au fond de toutes ces réflexions? Hélas, c'est qu'un chef nous manque. Si c'est Dieu qui le tient éloigné de nous, il faut bien tout pardonner au bon dieu (et cela n'est pas la moindre de ses rigueurs). Mais si c'était M. de Falloux qui se tient éloigné lui-même, je ne  le lui pardonnerai pas. Pardonnez-moi à moi-même Madame ce trop long griffonnage et veuillez agréer mes plus dévoués hommages.

C. de Meaux.

(1) Cette appréciation est également celle du duc de Broglie qui ne peut être soupçonné, je pense de trop de partialité instructive pour les ruraux.

Notes

1?

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 avril 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1871, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 06/10/2012