CECI n'est pas EXECUTE 4 octobre 1872

1872 |

4 octobre 1872

Alexandre de Saint-Chéron à Alfred de Falloux

Paris, le 4 octobre 1872

Mon cher comte,

Votre lettre prouve l'inconvénient de ne pouvoir s'expliquer de vive voix, car vous ne m'avez pas compris et vous paraissez supposer aux fondateurs de L'Assemblée nationale1 des projets secrets qu'ils n'osent et qui m'empêchent de déclarer ouvertement mon concours à l’œuvre. Vous êtes en pleine fantasmagorie.

Rien de plus simple et de plus loyal que la fondation de ce journal : un des principaux rédacteurs de la Patrie, écrivain catholique et royaliste, a pensé qu'il serait utile de publier un journal qui n'aurait pas les attaches bonapartistes de la Patrie, qui défendrait énergiquement les vérités religieuses, politiques et sociales méconnues dans une trop grande partie de la bourgeoisie ; ce journal serait monarchique, mais s'attacherait surtout à repousser tout ce qui fait obstacle à la monarchie, sans se poser comme l'organe du chef de la maison de Bourbon, car il s'agit de conquérir un public qui est hostile ou indifférent à la monarchie ; elle ne peut être autre chose que représentative et constitutionnelle.

C'est moi qui ai donné l'idée de reprendre le titre de l'ancienne Assemblée nationale2 ; il s'agit donc purement et simplement de continuer la même œuvre, avec les mêmes principes, les mêmes moyens, le même but. Le rédacteur de la Patrie, M. Launay3, dont les principes et la parfaite honnêteté me sont connus, m'a demandé de l'aider à cette fondation ; j'y ai consenti. J'en ai parlé  au comte Stanislas de Blacas4, au marquis de Dreux-Brezé5, etc., qui ont approuvé le projet, avec son programme, en restant purement et simplement sur le terrain de l'ancienne assemblée nationale de 1848, terrain parlementaire, conciliateur, rapprochant, sous le même drapeau, toutes les forces conservatrices.

J'ai trouvé à ces messieurs l'esprit très ouvert, ne cherchant pas des finesses et des arrières-pensées où il n'y en a pas l'ombre. Ils ont immédiatement souscrit. Il en a été de même pour MM. Pageot6 et Morisceau7, anciens fondateurs de l'ancienne Assemblée nationale. Mr Pouyer-Quertier8 ; Mr Paul Benoist d'Azy9 ; le baron Adolphe de Rothschild10 ; Mr Bresneau11 etc. Vous voyez qu'il n'y a aucune nuance exclusive.

Les hommes qui touchent le plus près au comte de Chambord ont donné, dans cette circonstance une preuve significative de leur intelligence à comprendre tout ce qui peut servir les intérêts de notre pays, par d'autres organes et d'autres moyens que ceux de la presse légitimiste actuelle.

Si je ne mets mon nom ni à la fondation, ni à la rédaction de ce journal, ce n'est pas pour reculer devant ma responsabilité, vous savez que je ne recule devant aucune responsabilité, mais c'est précisément pour ne pas donner à l’œuvre un caractère d'opinion exclusive qui empêcheront le journal d'aller là où nous voulons le faire lire.  

Enfin, mon cher comte, les faits parleront mieux que toutes les explications. Je vous remercie de vouloir bien notre, vous nous jugerez à l’œuvre et vous aurez peut-être regret de n'avoir pas montré une plus large confiance dans les pensées qui m'animent et dans ma vieille expérience de la presse.

Toujours votre très affectionné et tout dévoué.

De Saint-Chéron

Nous avons aussi avec nous Mr Martial Delpit12, député.

Notes

1Ce journal dont il est ici question connaîtra en définitive une brève existence paraissant de janvier 1873 à avril 1874.  Il devint peu après Le Nouvelliste de Paris. Ce fut une feuille fusionniste modérée hostile aux chevau-légers.
2Journal légitimiste, puis « fusionniste » fondé le 29 février 1848 dirigé par A. de Lavalette.
3Launay est un des pseudonyme d’Émile de Girardin, directeur de La Presse.
4Blacas d'Aulps, Stanislas Pierre Joseph Yves Marie de, comte de Blacas (1818-1887), homme politique. Il est le représentant du comte de Chambord en France.
5Dreux-Brézé, Charles Henri Scipion de (1826-1904), comme S. de Blacas, il est membre de la haute autorité collégiale des chevau-légers.
6Pageot, Alphonse Joseph Yves (?-?), diplomate.
7?
8Pouyer-Quertier, Auguste Thomas (1820-1891), industriel et homme politique français. Installé comme filateur dans l’Eure dés l’âge de 21 ans, il fit rapidement fortune. Conseiller général (1852) et maire de Fleury (1854), il fut élu candidat officiel en 1857 dans la circonscription de Rouen, puis réélu en 1863. Devenu le porte parole du protectionnisme au Corps législatif, il se vit retirer sa candidature officielle et échoua face à un candidat républicain en 1869. Élu sur une liste conservatrice le 8 février 1871, il fut appelé par Thiers pour occuper le ministère des Finances. Il fut élu sénateur en 1876, poste qu’il conserva jusqu’à sa mort.
9Benoist d'Azy, Paul (1824-1898), entrepreneur. Ancien élève de l’École polytechnique, il démissionna de l’armée pour entrer à l’École des Mines afin de seconder son père, Denys Benoist d’Azy, dans la direction de ses établissements métallurgiques d’Alés. Élève de Le Play, il l’accompagna dans ses voyages en Scandinavie (1845), Italie du Nord et Autriche-Hongrie (1846). En 1854, nommé directeur gérant des usines de Fourchambault, Torteron et Imphy, il continua de s’intéresser à la question ouvrière. Propriétaire d'un domaine dans la Nièvre, il s'y était retiré depuis 1871.
10Rothschild, Adolphe, baron de (1823-1900), banquier.
12Delpit, Martial Jean (1813-1887), homme politique. Élu du Lot-et-Garonne à l'Assemblée nationale de février 1871, il siégeait avec le centre droit et était membre de la réunion Colbert. Il fut associé aux tentatives de restauration monarchique.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «4 octobre 1872», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1872, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 29/04/2013