1885 |
13 juillet 1885
Théobald de Soland à Alfred de Falloux
Thouarcé1, 13 juillet 1885
Cher ami,
Je pense qu'Arthur2 a du vous écrire le résultat de notre réunion d'hier, je le fais de mon côté, vous pourrez ainsi contrôler des informations diverses l'une par l'autre puisqu'elles ne sont pas concertées. La Petite Église d'Anjou et son pontife3 avaient préparé leur assaut avec une obstination que rien n'avait pu désarmer. Celui qui dirigeait de loin la campagne était allé mardi rue de Vaneau et avait annoncé son projet d'engager la lutte avec le concours de ceux qui ont réfugié leur mauvaise humeur dans le programme de la Monarchie chrétienne ; on lui avait répondu qu'on le blâmait absolument ; vous allez voir le cas qu'a fait de ce blâme celui qui n'est plus royaliste avec le roi ni catholique avec le pape. Quelques jours avant la réunion, Mr. Hervé Bazin4 est venu demander communication de la liste de nos conversations, il l'a étudié pendant plus de deux heures, puis il a proposé une addition d'une vingtaine de noms qui, à aucun titre, n'avaient droit de figurer sur une liste composée de délégués sénatoriaux et d'hommes investis d'une fonction élective par leurs concitoyens. On a cédé à cette demande anormale, avec une facilité qui serait faite pour désarmer et faire sourire des adversaires habiles mais de bonne foi. La séance s'est ouverte en présence d'environ 400 personnes. Les sénateurs présidaient et ils avaient préparé en commun un exposé très bref qu'a lu le général d'Andigné5. Il l'a fait suivre d'une allocution contre les méfaits de la République, et sur la nécessité de l'union électorale. Il a donné la parole à M. Baron6 de Cholet qui l'avait immédiatement réclamé. M. Baron a dit que l'arrondissement de Cholet état celui qui donnait le plus de voix aux catholiques et aux royalistes. Que sans lui on ne pouvait rien et que pourtant dans la liste des noms ajoutés à ceux des anciens députés, on n'avait fait aucune part aux idées qui ont l'immense majorité dans la contrée de Cholet. Il a déclaré ne présenter aucun candidat, mais dans l'intérêt du succès de la liste conservatrice, il a demandé qu'un nom aux moins de ses amis soit ajouté à la liste. Ambroise Saubert7 a répondu que l'arrondissement de Cholet avait dans Mr de La Bourdonnaye8 et dans M. de Maillé9 des hommes qui représentaient complètement les sentiments publiques des électeurs. Il a fait remarquer que le journal L'Anjou10 avait présenté M. de La Bourdonnaye sans attendre que M. de Civrac11 fut enterré. Cet empressement montre que L'Anjou ne saurait se plaindre de ne pas être représenté dans la députation. Il a ensuite montré que la liste loin d'être exhaustive avait tenu compte de toutes les nuances de l'opinion conservatrice, qu'elle répondait aux aspirations vraies du département, que cette espèce de marchandage qu'on proposait au nom d'une opinion particulière et personnelle n'était fait que pour jeter la division dans un moment où l'union est le premier devoir de ceux qui veulent sauver leur pays. M. Manuit de Montergon lui a répondu en repoussant le mot marchandage et en répétant que le défenseur de la Monarchie chrétienne avaient le droit d'être représenté, pour cela il a proposé la candidature d'Hervé Bazin. La gradation recommandée dans les traités de rhétorique était, vous le voyez, observée, et c'est en vertu de la même règle que M Charles de Quatrebarbes a succédé a M. Manuit de Montergon. De ce ton solennel et avec ces ronflements d'R que vous lui connaissez, il a déclaré que la Monarchie légitime traditionnelle et chrétienne pouvait seule sauver le pays. Il a bien voulu reconnaître que le principe de la légitimité était représenté par M. le comte de Paris12, et qu'il fallait le proclamer sans enthousiasme parce que tout en étant Orléans il est Bourbon. Cette proclamation de l'hérédité interdit toute alliance avec des partisans d'un autre régime, il est impossible d'oublier que sous l'Empire M. Berger13 a lutté contre un candidat14 qui à cette époque représentait les vrais principes, (Saluez cher ami), qu'on ne pouvait non plus voter pour M. Merlet15, autre bonapartiste. M. Merlet se lève et donne un public démenti à cette qualification et dit à l'orateur : « Vous avez fait voter pour M. Berger, contre M. de Bruas16. » Roger de Terves17 à son tour interrompt et dit : si votre oncle Théodore de Quatrebarbes était ici il serait affligé du rôle que vous jouez en ce moment, je le connaissais j'ai été son aide de camp. Ces interruptions ont un peu déconcerté la péroraison qui a consisté dans la même redite sur la monarchie traditionnelle et catholique, petit succès dans l'auditoire. Mais voici Gain18 qui demande la parole, son discours a été un régal pour les dilettantes, il est impossible d'exécuter avec plus de grâce avec une courtoisie plus irréprochable un discours et un parti. Gain a d'abord montré la contradiction entre les paroles et les actes de eux qui ne parlent que d'union et qui apportent le désaccord par leurs prétentions injustifiables. Il leur a demandé en quoi ils étaient plus catholiques que les autres catholiques et plus royalistes que les autres royalistes ; et si aucune différence sérieuse de principes et de programme ne peut être alléguée, il ne reste que des compétitions de personnes ce qui n'est pas digne d'occuper l'assemblée qui a une œuvre plus importante à accomplir. Elle doit choisir des hommes que rien ne divise dans leurs combats contre la politique républicaine, qui repoussent tous les aventures criminelles des expéditions dans l'extrême orient ; l'hypothèse d'une divergence sur cette grave question ne peut pas être un instant admise, le candidat dont on a prononcé le nom est certainement le premier à le comprendre. Puis faisant l'éloge le plus bref et le plus délicat des candidats proposés, M. Gain a demandé le vote pur et simple de la liste et s'est assis au milieu d'une tempête d'applaudissement du meilleur augure. On allait passer au vote quand Hervé a demandé la parole, le malheureux ! Celui qui lui avait ordonné d'aller au supplice a été vraiment trop cruel. Hervé a déclaré que son droit et son devoir était de poser et de maintenir sa candidature, qu'il représentait l'Anjou et le Réveil de l'Ouest19 et que si on voulait avoir l'appui de ces journaux, il fallait l'accepter comme candidat. Et le marchandage a-t-on crié de toutes part, le voilà. Jules André20 en même temps s'écriait, mais vous n'êtes rien au Réveil de l'Ouest et ce n'est pas vous qui représentez l'Anjou. Hervé, conspué par les clameurs qui le poursuivaient de toutes parts et obéissant à ces instincts de maladresse qui est dans sa nature, s'est écrié : Prenez garde, Messieurs, en nous excluant, ne nous réduisez pas au désespoir politique. Ici les huées ont redoublé, on lui a crié, c'est cela, allez au Patriote, et le Tonkin21, parlez en donc un peu. C'est au milieu de cette explosion de répulsion que le malheureux Hervé est allé se cacher au milieu de ses fidèles. On est allé au vote, La Bourdonnaye que personne n'effaçait a eu 369 voix; Maillé, 367; De Terves et moi, 366. Les autres c'est-à-dire Berger, Merlet, Fairé et Chevalier ont eu un peu moins, 320, 330. Le journal vous donnera le chiffre précis, le plus maltraité a eu 304 voix. Quant à Hervé, qui avait convoqué, le ban et l'arrière ban des fidèles de son diocèse il a eu 72 voix. C'est une mauvaise entrée en campagne, reste le désespoir politique et le pacte avec Allain-Targé22. Nous verrons s'ils produiront autre chose que a déconsidération de ceux qui feront alliance avec le Patriote23. L'auditoire d'hier était très monté et si on n'a rien dit en public, on a prononcé dans les conversations les plus animées, un nom que cette campagne misérable n'est pas faite pour grandir. Mille tendresses.
Th. de S.