CECI n'est pas EXECUTE Décembre 1851

Année 1851 |

Décembre 1851

Alfred de Falloux à Pierre-Antoine Berryer

[fin décembre 1851] *AP 223/7 Mon cher ami, L'article du Constitutionnel, qui m'a été prêté trés rapidement et que je n'ai plus sous les yeux m'a d'autant plus contrarié, que j'y ai trouvé, je l'avoue, plutôt un grave motif de plainte qu'un supplément à démenti. On ne conçoit pas comment un homme  tel que M. de Montalembert ne sent pas la portée d'un procédé qui consiste à parler quand personne ne peut répondre, premièrement et ensuite à faire parler autrui lorsqu'il ne peut donner ni le développement, ni le correctif  de la pensée  brute1. Voilà ce que je lui écris de mon côté avec une entière franchise. Quant au démenti dans les termes absolus où vous le lui envoyez, mon cher ami, je le regrette parce qu'il n'est pas fondé suffisamment à mes yeux. Il est certain que nous avons à l'unanimité adopté l'exclusion pour éviter la négative. Il est certain que nous avons établi que le scrutin n'avait nulle importance à nos yeux ; que ce qui en avait, c'était l'attitude du parti légitimiste, qu'on ne pouvait laisser prendre pour drapeau et pour auxiliaire des rouges. Le secret de cette délibération n'était donc ni désiré, ni possible. Il n'était pas désiré puisque la délibération devait donner un conseil, officieux il est vrai, mais pourtant efficace, distribué dans nos 86 départements. Le secret n'était pas possible non plus, car le but principal, l'attitude de <mots illisibles> voir calme et reservé du Parti, n'aurait pas été atteint. D'ailleurs M. de Vatimesnil n'a pas rencontré un individu durant tout mon séjour à Paris sans donner les détails de la discussion et sans expliquer comment il avait incliné son avis devant l'unanimité de notre opinion. J'ai vu M. de Montalembert deux fois, une première fois chez moi, une seconde dans la rue. La première conversation seule a été longue. Il m'a tenu un excellent langage et au point de vue de ses répugnances à accepter la consulte et au point de vue de la monarchie. Je lui ai répondu avec un entier abandon en mon nom personnel que nous reconnaissions dans tout cela une œuvre providentielle, que nos deux conduites ne pouvant se rencontrer devaient au moins se rapprocher dans de certaines limites, que je reconnaissais le côté religieux de mes intentions qu'il respectât aussi le côté ferme et persévérant de nos principes. Qu'en attendant que tout cela se confondit dans l'avenir les hostilités seraient peu vives puisque le maximum de notre opposition serait l'abstention. Il accueillit avec beaucoup d'effusion ce langage, déclaré qu'on ne pouvait demander ni mieux ni plus que l'abstention aux légitimistes et nous nous séparâmes dans les bons rapports auxquels j'ai toujours attaché un très grand bien : deux jours après le rencontrant dans la rue, j'ajoutai: les sentiments que je vous ai exprimés en mon nom sont désormais une conduite arrêtée et délibérée entre nous. Comme Montalembert connaît parfaitement notre organisation, nos divisions, que d'ailleurs je vous le répète, les paroles de nos autres amis de la conférence étaient publiques, je ne fis aucune difficulté d'ajouter que M. de Saint Priest y avait adhéré plus volontiers même que M. de Vatimesnil ce qui devait lui prouver à quel pt les sentiments qu'il avait loués et en échange desquels il m'en avait manifesté d'excellents , étaient enracinés dans les sommités dirigeantes de notre Parti. Il devait donc se croire autorisé et il l'était en effet par mon langage à nous croire hautement et franchement engagés dans cette ligne. Je le croyais alors, mon cher ami, je le crois encore et j'avoue ne rien comprendre à notre délibération et à notre action si nous sommes obligés de dissimuler ou de nier cela. Maintenant M. de Montalembert est sorti de ces termes mêmes : il écrit une lettre violente contre l'abstention qu'il avait si chaleureusement approuvé pour nous quelques jours avant ; il tire de ce mot par l'organe de M. de Caverocler2des conséquences tout à fait forcées, dans un moment où il nous est interdit de rien rectifier, de rien commenter. Je reconnais bien là la mobilité et les entraînements déplorables de ce grand esprit, j'y puise un enseignement de plus pour mes entretiens avec lui : mais le démenti pur et simple je ne le crois pas juste. Si ce n'était un fait accompli dans L’indépendance belge3, j'ajouterais  que je ne le crois pas dans l'intérêt général de notre parti. Je reste dans les conditions et dans l'esprit de notre délibération unanime. Je m'inquiète peu du scrutin4, je me préoccupe énormément de ne pas voir renouveler l'accusation contre nous d'être un obstacle perpétuel à l'autorité sous prétexte d'un idéal que nous n'avons pas encore su rendre réalisable. Je déplore cette faiblesse des caractères, cette infirmité des intelligences, cette prédominance des intérêts vulgaires sur les considération élevées, mais cela est. Depuis que je suis sorti de Paris, je suis frappé au-delà de toute attente de ce courant irréfléchi. Je ne me dépars pas, pour cela, de ma protestation morale, de mon abstention (ne fut-elle pas un engagement pris), mais je ne vois nul dommage à ces spéculations d'autrui qui ne peuvent nous engager malgré nous, contre lesquelles nous dirons tout ce que nous avons à dire lorsque la parole nous sera rendue, et qui, en attendant, si du moins j'en juge par ce qui se passe sous nos yeux, nous réconcilie beaucoup plus de cœur qu'il ne nous en aliène. Je vous écris courrier par courrier sans prendre le temps de me relire et avec une vraie affection car voilà la première fois de ma vie qu'il m'arrive de me sentir en désaccord avec vous, et c'est le seul point de la vie politique par où peut m'arriver le découragement.

Votre plus dévoué.

A. de F.

Notes

1Au grand dam de ses amis, Montalembert, que les activités des montagnards ne cessent d'inquiéter, avait approuvé le coup d'Etat du 2 décembre 1851.
2?
3Organe des libéraux anticléricaux de Bruxelles.
4Soucieux de légitimer son coup d'état du 2 décembre, Louis-Napoléon Bonaparte convoqua les Français par un plébiscite, le 21 décembre 1851. Le 12 décembre, Montalembert avait fait savoir dans un appel solennel publié dans L'Univers à voter oui, « Voter contre Louis-Napoléon, c'est donner raison à la révolution socialiste ;c'est appeler la dictature des rouges à remplacer la dictature d'un prince qui a rendu, depuis trois ans, d'incomparables services à la cause de l'ordre et du catholicisme…

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Décembre 1851», correspondance-falloux [En ligne], Seconde République, Années 1848-1851, Année 1851, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 08/10/2013