CECI n'est pas EXECUTE 19 septembre 1837

Année 1837 |

19 septembre 1837

Anatole de Melun à Alfred de Falloux

Blois, Loir-et-Cher, ce dimanche 19 septembre 1837

Me voici de retour à Blois, mon cher Alfred, et j'ai hâte de vous donner de mes nouvelles pour en obtenir bien vite des habitants du Bourg d'Iré et de notre voyageur Frédéric1. J'espère que Madame votre mère2 a enfin reçu quelque chose de lui, une lettre au moins sinon sa personne, en faisant la part la plus large aux retards des quarantaines et aux difficultés de transport. Vous devez le posséder maintenant, offrez-lui donc mes très affectueux compliments sur son arrivée et demandez-lui pour moi en échange sa puissante bénédiction. Notre voyage à Solesmes3 s'est très bien passé. Nous n'avons trouvé, il est vrai, ni abbé Guéranger, ni Monsieur de Charnacé4, ce qui a empêché Charles de faire votre commission, mais un jeune bénédictin s'est chargé avec beaucoup de grâces et d'empressement de nous faire les honneurs du couvent, il nous a raconté tout le succés du prieur à Rome, les énormes privilèges qu'il en rapporte ; le Saint Père5 enchanté sans doute du premier volume des origines de l'église romaine, a voulu récompenser l'auteur, des hommages qu'il rend au St Siège : les anciens bénédictins n'avaient pas accoutumé Rome à des pages si soumises et si louangeuses ; on trouvait au fond de leur science, comme vous écrivait l'abbé Lacroix, un reste de jansénisme sous le patronage de Mr. Guéranger, l'institut aura fait amende honorable, se sera présenté comme l'enfant prodigue, de là tant de faveur. La règle est adoucie, tout est disposé pour favoriser le travail, et encourager l'étude, il ne faut plus que des intelligences de la force de celles des Mabillonn et de ses collaborateurs. La bibliothèque encore un peu <mot illisible> commence bien, les infolios ne manquent pas d'une certaine couleur locale ; ce qui me séduirait le plus dans l'établissement ce n'est ni une place au choeur, je ne suis pas assez saint, ni même la salle d'étude. Mais au bout du cloître, une petite chambre bien simple, une table, un vieux fauteuil semblent attendre quelque pauvre et bon travailleur, qui veut échapper un moment aux bruits de conversation du monde : c'est la place que je choisirais si jamais la manie d'écrire triomphait de ma paresse et du sincère sentiment de mon insuffisance ; partout ailleurs, des distractions <mot illisible> pendant la moitié du temps ; ici au moins je pourrais appartenir tout entier à mon œuvre, sans cette nécessité de me partager entre ma pensée et celle des autres, mais comme pour le moment, ni Charles ni moi, n'étions arrêté sur le titre de notre première publication, nous avons du remettre à une seconde visite, la prise en possession de cette cellule, d'ailleurs, nous emportions d'Anjou des souvenirs qui combattaient fortement ces idées de retraite ; si les bénédictins promettaient à notre esprit un ample et salutaire aliment, la chouannerie parlait en termes vifs et puissants à notre imagination, le silence sérieux des uns, était bien compensé par la verve éloquente et généreuse de l'autre et je ne sais s'il avait fallu choisir qu'il eut emporté des bénédictins ou du chouan, il a donc été sage de s'abstenir entre deux chances si opposées ; sans doute, la froide raison finira par faire pencher la balance en faveur de Solesme, mais dans tous les cas ma visite au Bourg d'Iré vous aura gagné un chaud partisan, votre admiration pour votre patrie peut maintenant compter sur un compère et toutes vos paroles sur cette terre trouveront chez moi de l'écho. J'ajouterai à cette sympathie pour tout ce qui tient à l'Anjou, quelque chose de plus affectueux pour le Bourg d'Iré, ces bons habitants, et cette disposition le fortifiant par la concentration deviendra, en arrivant à vous et à Madame votre mère, une vive et sincère amitié.

Adieu, mon cher Alfred, j'attends avec grande impatience une ligne de vous qui m'apprendrade vos inquiétudes sur Frédéric, j'ai trouvé ici toute ma famille assez peu disposée encore une fois, cependant je n'en lance pas tout à fait à une nouvelle apparition chez vous, je veux en conserver l'espérance, présenter mes respects à Madame votre mère, mes compliments à monsieur votre père, et vous avec ma commission pour Frédéric, prenez pour vous tout ce que vous aimeriez entendre de la bouche d'un ami.

A. de Melun

Chez M. Defaure6, Blois Loir-et-Cher

Notes

1Dés son ordination, Frédéric de Falloux, le frère aîné d'Alfred, avait le voyage de Rôme ; entré dans la Curie romaine, il y demeurera jusqu'à son décés.
2Comtesse Louise Loyde Philiberte Renée de Falloux, née Fitte de Soucy (1784-1850), fille du marquis François-Louis de Fitte de Soucy et de la marquise, née Renée de Mackau.
3Abbaye bénédictine, l'abbaye Saint-Pierre de Solesmes est située à Solesmes dans la Sarthe. Ses origines remontent au XIème siècle ; elle n'est encore qu'un prieuré dépendant de l'abbaye de la Couture, au Mans. Sa renommée internationale est l'oeuvre de Dom Prosper Guéranger, restaurateur depuis 1833 de l'Ordre des Bénédictins en France.
4Sans douteCharles-Guy de Charnacé (1800-1884), officier de la Garde royale, il avait démissionné pendant la révolution de Juillet 1830.
5Bartolomeo Alberto Capellari (1765-1846), élu pape le 2 février 1831 sous le nom de Grégoire XVI.  
6?

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 septembre 1837», correspondance-falloux [En ligne], Années 1837-1848, Monarchie de Juillet, Année 1837, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 25/03/2013