Année 1860 |
15 avril 1860
Prosper Guéranger à Alfred de Falloux
Abbé de Solesmes, ce 15 avril 1860
Mon très cher ami,
Vous avez bien raison de vous plaindre de moi, et je souscris à tous vos anathèmes. Le fait est cependant que le loisir m'a beaucoup manqué depuis votre dernière lettre. J'ai dû passer huit jours au Mans, puis quinze dans notre monastère de Ligugé1 et la Semaine Sainte n'a pas tardé à venir durant laquelle je n'ai pas eu un moment pour écrire. Je vous dis tout cela non pas tant pour m'excuser que comme explication. Je suis toujours dans l'intention de donner plusieurs articles dans le Monde sur la Vie et sur les œuvres ; mais je voulais pour cela attendre le mois de mai, parce que je compte être mieux déblayé alors de toute la besogne que le carême à accumuler pour moi. Je puis faire quelques articles courants dans le monde, tout en faisant autre chose ; mais pour parler de Mme Swetchine et de vous, j'ai besoin d'être plus à moi. Soyez donc assez bon, mon cher ami, pour m'accorder encore quelques semaines de patience, et vous verrez que j'y ferai de mon mieux. Vous venez de donner une seconde édition2 ; y a-t-il quelques changements quelques additions, dont je dois tenir compte ? Quoi qu'il en soit, le succès de la première est bien beau, et fait honneur au temps. On vient d'achever la copie des lettres : vous la recevrez incessamment ; je la retiens seulement pour une huitaine encore, ayant à insérer, quelques légères sa notation pour éclaircir le texte. Il y a une vingtaine de lettres sans compter celle du comte de Maistre que j'ai fait transcrire à la date de l'envoi que m'en fit Mme Swetchine. Vous la tirerez de là pour en faire à votre volonté.
Je vous envoie plus de lettres que je ne comptais en publier. Une correspondant général admet beaucoup de pièces qui seraient déplacées dans une publication spéciale. J'aurais omis les lettres et les passages où Mme Swetchine se répand trop en éloges à mon endroit. Dans la copie que je vous adresse, j'ai retranché une grande partie de ces excessives louanges ; mais j'en ai laissé cependant, au point de vue de la correspondance générale parce que ces épanchements aident beaucoup à connaître la personne qui les fait. J'ai l'idée que les lettres que je vous envoie seront utiles à ce but. Quant aux lettres de moi dont vous êtes en possession, il ne saurait être question pour elle d'une publicité quelconque.
Ne soyez donc plus irrités contre moi, mon cher ami ; si je n'ai pas fait tout ce que je devais faire, j'ai néanmoins pensé à vous, et je suis dans la disposition de m'exécuter prochainement. Recevez donc avec toutes mes excuses, la nouvelle expression de mon plus sincère dévouement.
fr. Prosper Guéranger, abbé de Solesmes