1881 |
17 janvier 1881
Alfred de Falloux à Couvreux (abbé)
Cher Monsieur l'abbé,
Notre mieux continue, sans que la teinture d'iode fasse beaucoup souffrir, et nous n'attendons la visite de M. Poidevin que dans deux ou trois jours. Je reprends donc un peu de liberté d'esprit pour vous remercier de votre longue lettre d'hier. Je vous envoie par le même courrier les deux Figaro, plus un Univers, dont je vous fait cadeau. Vous y trouverez peut-être l'explication des nouvelles qu'on vous donne sur les rapports entre le gouvernement et l'archevêché de Paris. La lettre de l'évêque de Valence1 me semble triplement insensée : 1°, parce qu’elle existe, car il est bien inutile d'écrire une lettre imprimée à des amis qu'on a sous la main et de réveiller une affaire dans laquelle on avait été felicior quam prudentor ; 2°, parce qu’elle compromet l'archevêque de Paris2, en publiant une lettre qui n'était certainement pas destinée à cette publicité. Si la rupture officielle existe réellement, elle doit dater de l'hospitalité donnée à l'évêque de Valence. Ce qui était une bravade superflue, puisque l'archevêque, il le dit lui-même, ne donne jamais l'hospitalité, ce qui se comprend de reste à Paris. Je suppose aussi que le nonce3, qui blâme de plus en plus hautement les incartades qu'on lui jette à tout instant dans les jambes, ne se sera pas dans tout ceci associé au vieux cardinal et encore moins au coadjuteur4, esprit étroit et violent avec un caractère doux. Si dans une telle situation le gouvernement demandait aux candidats épiscopaux une certaine adhésion, je souhaiterais fort qu'on ne la lui refusât pas, car des évêques, prétendus républicains, feraient certainement moins de mal à l’Église que ces restes galvanisés d'un incurable veuillotisme. On serait alors aussi bien plus fort pour repousser la seconde condition du gouvernement, absolument sotte et absolument injustifiable. Il y a eu Conseil du Correspondant à la fin de décembre. Le duc de Broglie y a proposé l'abbé Bernard5, comme nous en étions tombés d'accord à Rochecotte, mais d'autres candidats ont été proposés aussi, et, moitié par prudence, moitié pour l'heure avancée, on a remis la décision définitive à une autre fois. Je ne sais s'il vous conviendra d'écrire cela à l'abbé Bernard6. Si vous le faites, que ce soit très confidentiellement ! Segré avait hier un ballottage pour un seul nom7. La sous-préfecture en a profité pour lancer un candidat détestable dont elle aurait fait un maire. Il a été battu par 120 voix de majorité. Pourquoi Segré n'est-i pas la capitale de la France ? Cela vaudrait encore mieux que S[ain]t Patrice8 ! Mille tendres remerciements encore à tout le monde, cher Monsieur l'abbé, et spécialement à Madelle Dubois9 qui voudra bien, je l'espère, me donner des nouvelles de son frère.
A. de F.