1881 |
Février 1881
Albert Macé à Alfred de Falloux
Vannes, février 1881
Monsieur le Comte,
Je me proposais de vous faire connaître les incidents qui se sont produits à l'occasion de la Conférence de M. de Mun lorsque j'ai appris que M. de Rorthays1 vous en avait avisé et que vous vouliez bien compter sur moi pour les détails complémentaires.
Je suis vivement touché de cette marque de confiance et je suis heureux d pouvoir vous fournir ces renseignements. Auguste Roussel2, de L'Univers, qui devait partir de Paris avec M. de Mun et M. Hyrvoix3, arriva seul, samedi soir. Il ne dit que M. de Mun était souffrant et qu'au lieu de venir à Vannes directement, il se proposait de se rendre le dimanche six mars, à Lambilly4. C'est ce qui eut lieu ; le soir, au château5, après le dîner auquel avaient pris part quelques prêtres, l'article du Laïcisme, déjà arrivé à Ploërmel6, causa une surexcitation que les incidents des jours précédents portèrent à un haut degré. J'en eus la preuve le lendemain, lorsque M. de Mun, allant à Sainte-Anne, eût laissé à Vannes M. de Lambilly que venaient rejoindre les premiers auditeurs arrivés. On commentait bruyamment un article de la Bretagne dont l'auteur qui songeait jadis à prendre au Petit Breton la place que j'occupe, fulminait des anathèmes contre les conservateurs destinés à se rallier sous la bannière du Roi parce qu'ils ont peur « pour leur peau, c'est-à-dire pour leur ventre ».
Je vous demande pardon pour la crudité de l'expression ; mais elle est textuelle. Ces dispositions malveillantes s'accentuèrent de nouveau, lorsque la vue de la foule assistant à la conférence eût démontré de la façon la plus catégorique que les sages conseils de Mgr Bécel7 avaient été suivis et que le nombre des prêtres du diocèse venus, malgré ses injonctions, était de quatre seulement. C'est à ce fait sans doute que l'on doit attribuer l'insistance tout spéciale de MM. de Monti8 et de Lambilly sur l'existence des comités royalistes, chargés de représenter le Roi, de recevoir ses ordres et de les transmettre aux simples mortels. « Ce que je trouve de mieux, disait en sortant de la réunion un membre du comité du Finistère, c'est cette affirmation de la prééminence des comités royalistes sur les comités ecclésiastiques. » Le discours de M. de Mun avait dû, en effet, produire quelques déceptions. Au lieu de dire aux conservateurs de toutes nuances, comme le jeune premier de la Bretagne : « Vous marcherez avec nous, parce que vous ne cédez qu'aux instincts les plus bas, aux sentiments les plus vils et que seuls nous serons le faire, il a fait appel à leur raison, à leur cœur, à leur patriotisme. La déclaration si inopportune du drapeau a été habilement noyée dans une périphrase de M. de Mun ne doit aujourd'hui se faire aucune illusion sur les opinions de son arrondissement et il a cédé à un juste sentiment de prudence en évitant ces affirmations précises et en se servant d'une expression si vague que les assistants n'ont pas compris et qu'une vingtaine à peine ont poussé le cri : Vive le drapeau blanc ! que l'on attendait.
Le soir, après une réunion dans laquelle le Petit Breton a été mis sur la sellette, jugé et condamné sans défense et sans appel, un banquet économique (6 francs par tête) a réuni à l'Hôtel de France les organisateurs et la presse royaliste. MM. Roussel et de La Brière9 étaient partis depuis plusieurs heures. La « presse » n'avait donc comme représentants que MM. Ferrere de la Civilisation10, Chamaillard11 du Morbihannais et un ou deux autres dont j'ignore les noms. On m'affirme que M. de Mun n'a pas pris la parole et qu'il s'est contenté de prêter une oreille distraite aux discours de MM. de Monti et de Lambilly. En résumé, je crois que l'opposition de Mgr de Vannes d'une part et l'intérêt électoral de M. de Mun d'autre part ont fait mettre une sourdine aux déclarations importantes et catégoriques que la Bretagne annonçait par télégramme la veille de la conférence. Il me semble qu'il y aurait lieu de se féliciter de ce résultat si nous n'avions à redouter la mauvaise foi de la presse républicaine, et, il faut bien l'avouer le défaut de franchise des ultras.
Veuillez excuser, Monsieur le Comte, le décousu de ces notes et agréer l'expression respectueuse de mon profond dévouement.
A. Macé