CECI n'est pas EXECUTE 22 février 1882

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22 février 1882

Armand de Pontmartin à Alfred de Falloux

Les Angles, 22 février 1882

Cher Comte,

Comment vous remercier de ce témoignage, plus précieux pour moi que tous les compliments ? Je n'ai rien fait, rien dit, rien écrit, qui mérite vos remerciements ; c'est moi qui vous doit une vive reconnaissance, non seulement pour cette lettre qui restera parmi mes papiers de famille, mais pour la douce sensation que j'ai éprouvée chaque fois qu'en me reportant vers ce passé déjà bien lointain j'y rencontrais votre souvenir et votre nom. Temps heureux, où j'avais l'honneur d'être présenté à Madame votre mère et où elle m'accueillait avec une si parfaite bonne grâce, entre un concert de Mme de La Bouillerie1 et une soirée du Théâtre Italien ! Nous ne nous doutions pas alors, au milieu des rêves de la vingtième année, moi que je mettrais pendant près d'un demi-siècle ma fragile plume au service d'une cause parfois ingrate pour ses fidèles, vous qu'après avoir marqué votre place au premier rang des vrais politiques, vous auriez dans votre belle retraite assez d'occasions d'être utile à votre pays et de prouver votre talent pour vous consoler de l'aveuglement des princes et de l'injustice des partis. Mais, hélas ! que sont ces idées de gloire mondaine, quand je songe aux douleurs qui vous ont frappé, à la solitude qui s'est faite dans ce château du Bourg d'Iré, rendez-vous de tous ceux qui avaient quelque chose à apprendre ou à demander ? Moi aussi, je n'avais pas été épargné, et c'est bien tard que le mariage de mon fils avec une pieuse et charmante jeune personne a ranimé en moi les affections et les joies de la famille. Nos âges et nos santés nous rapprochent mon cher comte ; mais je n'admets pas d'autre parallèle. Je n'aurai été, moi, qu'un rêveur épris de chimères, mettant trop d'imagination dans la critique et pas assez d'invention dans le roman. Vous êtes, vous, une des gloires de notre malheureux pays, un des hommes qui auraient pu nous sauver si Dieu l'avait permis ; un homme illustre dans la meilleure acception du mot ; et, si jamais nos deux noms se rencontraient sur une même page, soyez bien sûr que le mien n'obtiendrait un moment d'éclat qu'en devenant un reflet du vôtre. Encore une fois merci ; merci, cher comte ! Votre lettre m'a fait du bien, et je vous prie d'agréer avec ma sincère gratitude, l'expression de ma profonde sympathie.

A. de Pontmartin

Notes

1Peut-être Félicité de Roullet de la Bouillerie, née de La Porte-Lalanne (1795-1882), épouse d'Alphonse de Roullet de La Bouillerie (1791-1847), propriétaire du château de La Bouillerie, à Crosmières dans la Sarthe.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 février 1882», correspondance-falloux [En ligne], 1882, Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES,mis à jour le : 16/04/2012