Année 1858 |
13 novembre 1858
Henri Lacordaire à Alfred de Falloux
Sorèze1, 13 novembre 1858*
Monsieur et cher ami,
Toutes les courses que j'avais à faire avant la mauvaise saison sont terminées. Je ne parle pas d'un petit voyage à Toulouse qui va me retenir deux jours, juste le temps qu'il vous faudra pour recevoir ma lettre et la lire. Je suis donc à vous pour le moment que vous choisirez jusqu'à Noël. Sorèze vous attend, tout fier et tout heureux de se montrer à vous dans son oasis de paix et de souvenirs. Les rois y sont venus, puis Voltaire dans la personne des siens2, et aujourd'hui, chose horrible à dire ! des moines pur sang, des héritiers de l'inquisition. C'est pourquoi consultez-vous bien, et voyez si vous n'apporterez pas avec vous quelque bribe d'hérésie ; le cas est grave. Ce qui est certain, malgré les apparences, c'est que l'amitié sera aux portes et que vous pouvez vous fier à elle, vous, votre secrétaire, et aussi M. de Livonnière3 qui m'a si bien reçu à Angers. Il y aura de la place pour tous, même y compris quelqu'un des Rességuier4 si la pensée de Sorèze, où leur nom n'est pas inconnu, pouvait les tenter. Soyez auprès d'eux mon truchement, je vous prie. La poursuite contre m'a surpris ; car il n'y aurait guère dans son article que quelques allusions épigrammatiques sur le temps actuel. Il semble manifeste qu'on ait cherché cette occasion d'en finir avec le Correspondant, le seul recueil chrétien et libéral qui fût demeuré debout au milieu du silence, de l'adulation et de l'impiété, les trois choses les plus remarquables de l'époque présente. Il sera glorieux pour le Correspondant d'avoir parlé, et non moins glorieux d'avoir mérité de se taire5. Sa protestation subsistera, et quelque jour, lorsque les événements auront la scène, on sera heureux d'invoquer son nom comme une preuve qu'il était resté des chrétiens servant leur cause avec sagesse, droiture et dignité. Je ne sais si Mme de Falloux est avec vous, je suppose que non. Mais, dans tous les cas, en Gascogne ou en Anjou, veuillez lui présenter mes très humbles hommages et tout mon souvenir du Bourg d'Iré. Soyez aussi, je vous prie, mon organe près des aimables hôtes qui vous possèdent et agréez pour vous-même Monsieur et cher ami, l'expression de mes sentiments de haute estime et d'attachement.
Fr. Henri-Dominique Lacordaire, des Fr. Prêch.
*Lettre publiée dans le Correspondant du 25 mai 1911 sans annotation.