Année 1853 |
18 février 1853
Henri Lacordaire à Alfred de Falloux
Flavigny1, 18 février 1853*
Monsieur et cher ami,
Mme Swetchine m'a fait parvenir votre billet du 10. J'y vois sans étonnement que vous êtes heureux dans la solitude que les événements vous ont faite. C'est le sort de ceux qui, comme vous, ont au-dedans de leur âme la ressource inépuisable des affections et des lettres. Cicéron, dans sa villa de Tusculum, ne regrettait point la gloire et l'agitation des rostres parce qu'il pouvait y écrire doucement ses traités de la Vieillesse et de l'Amitié. C'est un don rare dans tous les temps, mais surtout aujourd'hui, et vous êtes un de ceux qui l'avez reçu. Je voudrais bien visiter votre chère retraite2. Mais je suis retenu dans la mienne par des liens plus forts et plus étroits que le bonheur même ; j'y dois l'exemple et visiter le seuil d'un vieil ami n'est pas un des cas où le devoir justifie pour moi le plaisir. Peut-être un jour ces deux bonnes choses me permettront-elles ensemble d'aller frapper à votre manoir, et j'en saisirai bien avidement l'occasion. En attendant, je suis ravi que vous ne m'oubliiez pas, et vous pouvez être assuré qu'il en est de même de mon côté. Les années marchent, mais les souvenirs du cœur sont toujours jeunes. Veuillez, je vous prie, présenter mes hommages respectueux à Mme de Falloux, et agréer l'expression de mes sentiments de haute estime et de sincère attachement.
Fr. Henri-Dominique Lacordaire, Prov. Des Fr. Prêch.
*Lettre publiée dans Le Correspondant du 25 mai 1911.
