CECI n'est pas EXECUTE 12 septembre 1857

Année 1857 |

12 septembre 1857

Henri Lacordaire à Alfred de Falloux

Sorèze, 12 septembre 1857

Mon cher ami,

Une lettre de M. Fresneau1, que je viens de recevoir, m'annonce le coup qui nous a frappés jeudi dernier, à six heures du matin. Cette chère et sainte amie n'est plus. Elle nous a laissé ses exemples, ses pensées, son impérissable souvenir. Je ne pense pas que nous retrouvions autour de nous, sur la fin de notre carrière, une âme aussi forte et une intelligence aussi admirablement douée, non plus qu'une telle bonté dans des dons si grands. Mme Swetchine a été, avec Mgr de Quélen2, la lumière de mes années difficiles3. Elle m'a, je ne sais combien de fois, retenu, éclairé, consolé. Rien n'égalait sa prudence que la sûreté de son coup d’œil, et l'amitié accroissait encore en elle la perspicacité de ses vues. Vous n'avez pu, autant que moi, profiter de son affection, parce que les épreuves et les difficultés de votre vie peut-être ne vous ont pas donné la même occasion que moi de connaître toutes les ressources de son esprit dans les circonstances épineuses. Mais, plus heureux que moi, vous avez pu recevoir son dernier soupir et contempler jusqu'au bout cette sérénité parfaite qu'elle opposait à la mort. Je vous remercie de nouveau de m'avoir appelé à temps pour que je la visse encore. Votre lettre d'hier m'avait préparé à celle que j'ai reçue ce matin. Après avoir lu cette dernière, je me suis mis à genoux pour prier avec vous, et aussi pour me recommander à l'intercession de cette sainte âme. Car je ne doute pas qu'elle ne soit dans le sein de Dieu, et que nous ne l'ayons pour protectrice dans le ciel comme nous l'avons eue pour amie sur la terre. Je vous envoie une lettre pour M. Fresneau, ne sachant pas son adresse. Vous m'obligerez beaucoup de la lui faire parvenir. J'espère vous voir à Sorèze, comme vous me l'avez promis, et vous renouvelle avec ma gratitude tous mes sentiments de haute estime et d'attachement.

Fr. Henri-Dominique Lacordaire, des Fr. Prêch.

*Lettre publiée dans Le Correspondant du 10 juin 1911.

Notes

1Fresneau, Armand Félix (1823-1900), homme politique. La situation de son père (préfet) lui permit d’être appelé comme secrétaire particulier du ministre de l’Intérieur Duchâtel en 1847. Député de l’Ille-et-Vilaine à la Constituante et à la Législative où il siégea parmi les légitimistes, il abandonna la vie politique après le coup d’État. Candidat de l’opposition sous le Second Empire, il sera élu en 1863. Député de l’Assemblée Nationale en 1871, il devint l’un des membres les plus actifs du parti catholique et légitimiste. Il fut l’un des promoteurs de l’adresse d’adhésion au Syllabus. Il votera pour la démission de Thiers en 1873 et s’associera à toutes les mesures du gouvernement de Broglie et aux préparatifs de restauration monarchique. Convaincu que les orléanistes avaient fait obstacle à l’avènement du comte de Chambord, il rejoignit les légitimistes qui contribuèrent à la chute du gouvernement de Broglie.
2Hyacinthe-Louis de Quélen (1778-1839), prélat. Ordonné prêtre en 1807, vicaire général de Saint-Brieuc puis de Paris, puis évêque in partibus de Samosate, il fut nommé archevêque de Paris de 1821 à sa mort. Il avait été, comme Lacordaire, Falloux et Montalembert un habitué du salon de Madame Swetchine.
3Lacordaire s'était vu accorder une bourse pour entrer au séminaire Saint-Sulpice grâce au soutien de Mgr Quélen, et c'est l'archevêque qui l'ordonna prêtre.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «12 septembre 1857», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Second Empire, Année 1852-1870, Année 1857,mis à jour le : 14/09/2013