CECI n'est pas EXECUTE 14 août 1860

Année 1860 |

14 août 1860

Henri Lacordaire à Alfred de Falloux

Sorèze, 14 août 1860

Mon cher ami,

Rien n'est plus tentant que Saint-Gervais1 protégé par vous et par Mme de Mesnard2 ; mais malheureusement les bains étant plus nécessaire, je ne puis en conscience me donner le plaisir de vous y joindre. Je ne ferai qu'un petit voyage en Bourgogne, à Flavigny, où je dois présider un chapitre provincial dans les premiers jours de septembre, puis je rentrerai à Sorèze le 15 de ce même mois pour n'en plus bouger. Ma santé se raffermit chaque jour, et je pense qu'elle se rétablira tout à fait en évitant les excès de travail et surtout de parole. Je vous remercie d'avoir parlé de moi dans la chambre du roi. Mais, hélas ! que leur décadence est grande, et qu'est-ce donc que la puissance du despotisme pour qu'il lui ait suffi de deux siècles à faire de François II de Naples le successeur d'Henri IV ! Ces chutes ont de plus en plus un caractère lamentable. Certes, les partis sont bien pauvres : mais, d'autre part, quel défaut d'intelligence, de courage, de grandeur, de portée en toutes choses ! La force matérielle pourra encore prendre de sanglantes revanches ; mais la bataille est perdue sur le terrain des idées et des vertus. Le sang n'ajoutera à la chute du despotisme européen qu'un sillon d'un autre déshonneur, cette tâche qui ajoute à toutes les autres sans les couvrir. J'ignore si M. le comte de Chambord3 remontera jamais sur le trône de France ; mais ce dont je suis sûr, c'est qu'à moins d'un grand changement dans l'esprit des rois et dans celui des peuples, il n'y restera pas longtemps. C'est pourquoi je m'attache aux principes et point aux hommes ; il y a des âges où l'on ne peut sauver que les doctrines, et c'est encore une belle part  laissée à la liberté humaine.

Adieu, mon cher ami, je vous remercie de votre bon et constant souvenir, je vous renouvelle l'expression de mes sentiments de haute estime et d'attachement.

Fr. Henri-Dominique Lacordaire, des Fr. Prêch.

*Lettre publiée dans Le Correspondant du 10 juin 1911.

Notes

1Falloux faisait depuis la dernière semaine de juin une cure aux bains de Saint-Gervais, en Haute-Savoie.
2Flora de Mesnard, comtesse, née de Bellisen (1808-1887), membre du Tiers Ordre dominicain, est une grande amie du P. Lacordaire.  
3Sur les conseils de Berryer, Falloux devait se rendre en Suisse pour une entrevue avec le comte de Chambord, dans sa résidence d'été de Lucerne.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 août 1860», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1860, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 04/04/2013