1879 |
8 mai 1879
Werner de Mérode à Alfred de Falloux
Mon cher ami,
Je viens de lire le Figaro et je me réjouis grandement de l'excellent article qu'il contient sur l'auteur de la loi de 1850. Bien des fois, en lisant ce qui se publie sur les projets de M. Ferry, je me disais, n'est ce pas vraiment extraordinaire, que les destructions de la loi Falloux soit un si grand événement que le simple projet de la supprimer dans un de ses articles, mette tout l'épiscopat, tous les catholiques en mouvement, qu'il semble que son abrogation soit une vraie révolution, que M. Ferry rencontre une résistance dont à la longue il ne triomphera certainement pas et que cependant on n'ait tenu aucun compte à son auteur d'avoir saisi pour ainsi dire au vol, avec une merveilleuse habileté, le moment aussi juste que court pendant lequel il a été possible de voter une loi si importante, qu'on n'imagine rien sauf le concordat qui ait eu sur la société française, sur son avenir une aussi grande une aussi salutaire influence. Il est bien certain, qu'on n'avait rien fait depuis des siècles de comparable à cette loi, elle a survécu à deux révolutions à la République de 1848, à l'Empire à la chute de ce dernier régime, elle a duré plus que toutes les chartes, toutes les dynasties, qui se sont succédées en France depuis 100 ans, elle est tellement entrée dans les mœurs, elle a si bien répondu aux besoins de la société française, que le plus puissant moyen de cléricaliser des gens, qui ne veulent l'être à aucun prix,a été si bien agencé, qu'il résiste à la réaction la plus anticléricale qu'on puisse voir. Ce qui n'empêche pas les législateurs, le ministre aussi sagace que résolu de 1850, d'être depuis 30 ans calomnies, méconnus, injuriés presque pour avoir rendu à l'Église à la société a au monde ce prodigieux service, on les flattait même du nom d'habiles et c'est devenu un lieu commun de la conversation des gens très bien pensants, que de dire ou de répéter à tous propos,qu'ont fait les habiles1, où nous ont ils menés. Il faut qu'on voit presque par terre ce monument de sagesse, de prévoyance et d'habileté, pour qu'on en apprécie la grandeur il faut reconnaître que les adversaires de l'habileté ont été un moment en 1850 de faire avorter cette loi dont on réclame aujourd'hui si énergiquement et si justement le maintien; comme depuis ils ont fait rater le rétablissement de la monarchie et la composition du sénat. Votre exclusion de la vie politique par l'extrême droite par la tête et la queue du parti, que vous pouviez sauver est certainement un des plus curieux spécimens de l'aberration humaine, elle justifie bien ce que disait l'abbé Raynal2, les hommes ont plus de considération pour le pouvoir qui les opprime que pour celui qui les sert. Vous avez fait la loi de 1850, M. de la Rochette3 a fait le sénat et la République de M. Grèvy en attendant M. Clémenceau4. Ces deux fruits des deux politiques n'empêchent pas une foule de braves gens de mettre la seconde très au-dessus de la première. L'article du Figaro au milieu de la profonde tristesse m'a valu un quart d'heure de satisfaction et je me donne le plaisir de vous le dire en vous priant d'agréer l'assurance de tous mes sentiments de haute et affectueuse considération.
W. de Merode.
P.S. Je relis ma lettre et je n'ai pas le courage de la recommencer pour en atténuer les déplorables incorrections.