CECI n'est pas EXECUTE 19 novembre 1879

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19 novembre 1879

Werner de Mérode à Alfred de Falloux

Trelon1, ce 19 novembre 1879

Mon cher ami,

Je ne vois pas très bien ce que peut faire le comité pour M. Dubois2, son monument3 parle plus haut en son honneur, que toutes les phrases que nous pourrions lui adresser. Si vous avez une idée, donnez-la moi, quand je serai à Paris, j'en parlerai à Rainneville4, au Mis de Montesquiou5, au besoin même à Dufaure dont nous allons peut être devenir les alliés, les admirateurs, n'a réuni [mot illisible] veut bien se décider à donner des coups de son boutoir dans les projets de loi de M. Ferry6. J'ai toujours bien de la peine à croire qu'il se résigne à faire campagne avec la droite, son antipathie pour elle est encore plus vive, je crois, que son horreur pour la commune et les semi communards comme Ferry, Chalmel7 et compagnie. Je vous envoie le rendu compte d'une séance de réception d'un docteur en théologie par l'université de Lille. On y attribue à Pie IX seul la résurrection de l'université de Douai en la personne de celle de Lille, on la compare à la résurrection de Tabitha8 par S[ain]t Pierre. Les auteurs de la loi qui a permis cette fondation, de l'évêque d'Orléans, des souscripteurs, pas un mot. Ce parti pris de mépris, d'ingratitude envers les hommes politiques, envers la société civile même, lorsqu'ils font les meilleures, les plus excellentes choses est vraiment très curieux et tout à fait contraire à l'esprit de l'Église, qui s'est toujours montrée si reconnaissante envers des bienfaiteurs, qui les a toujours comblés de tant de faveurs, de tant de privilèges, non seulement temporaires, mais même héréditaires, qui a poussé ce sentiment de la gratitude jusqu'à l'abus, il est vrai, que c'était dans des temps aristocratiques et qu'aujourd'hui les abus démocratique ont pénétré très avant dans le clergé comme dans ce qui reste de noblesse, de classe jadis privilégiée en France. Quoiqu'il en soit, lisez M. le docteur Jules Didier et ayez la bonté de me renvoyer ce petit bulletin à Trelon Nord où je suis revenu mardi d'une tournée scolaire en Belgique. Le mouvement de résistance aux lois Van Humbeeck9 est admirable. Il y a des villages où pas un enfant ne va à l'école officielle, l'instituteur et son adjoint y sont seuls dans leurs salles vides. Mille amitiés.

W. Merode

Notes

1Commune du département du Nord où W. de Mérode possède un château.
2Dubois, Paul (1829-1905), sculpteur et peintre français.
3S'inspirant du tombeau des Médicis, P. Dubois réalisa le cénotaphe du général Lamoricière érigé en la cathédrale de Nantes. Ce fut son œuvre majeure.
4Raineville, Joseph Maria Hubert Vaysse de (1833-1894), homme politique. S'étant engagé, en 1860, dans les zouaves pontificaux, il se battit à Castelfidardo et fut décoré par Pie IX. Il prit également part à la défense de Paris pendant la guerre franco-allemande. Élu député de la Somme à l'Assemblée nationale du 8 février 1871, il siégea au centre droit Ayant prit part aux combinaisons en faveur du rétablissement de la monarchie, il opina pour la chute de Thiers au 24 mai, pour le ministère de Broglie et contre les amendements Wallon. Devenu membre du sénat le 30 janvier 1876, il s'associa aux votes de la majorité monarchiste. Depuis la victoire des républicains, il se prononçait systématiquement contre leur politique, votant notamment contre mes lois Ferry sur l'enseignement.
5Montesquiou, Charles Eugène Anatole, marquis de Montesquiou-Fezensac (1811-1883),
6Depuis que les républicains détenaient tous les pouvoirs (majorité à la Chambre et au Sénat et présidence de la république), ils  entendaient revenir sur certains articles de la loi du 12 juillet 1875. Tout en maintenant le principe de la liberté de l'enseignement supérieur, ils souhaitaient rétablir le monopole de la collation des grades et des titres universitaires au profit des faculté de l'État. Le 15 mars 1879 Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique avait déposé à cet effet un projet de loi s'inspirant de la proposition de loi du libre penseur Paul Bert.
7Il s'agit plutôt de Challemel-Lacour, Paul Armand (1827-1896), homme politique. Fondateur, avec L. Gambetta, de la Revue politique, il entra en 1872 à l'Assemblée nationale (Bouches-du-Rhône) où il siégea à l'Union républicaine. Elu sénateur le 30 janvier 1876, il adhéra à la politique opportuniste et soutint le projet de loi Ferry se faisant remarquer, en juillet 1876, lors de la discussion de la loi sur la collation des grades. Promu ambassadeur de France en Suisse puis à Londres, il quitta ses fonctions pour entrer, le 21 février 1882, comme ministre des affaires étrangères dans le ministère Ferry.
8Selon les écritures saintes, la veuve Tabitha aurait été ressuscitée par Saint-Pierre.
9Van Humbeeck, Pierre (1829-1890), homme politique belge. Anticlérical notoire, il était membre de la majorité libérale dirigée par Frère-Orban qui remporta les élections de 1878. Devenu ministre de l'Instruction, il fit adopter le 21 janvier 1879 une loi dite par ses adversaires catholiques « loi malheureuse » qui laissait aux familles le choix de l'instruction religieuse, obligeait chaque commune à se doter d'une école primaire officielle et interdisait aux provinces et aux communes de subventionner des écoles « libres » déclenchant ce que l'on appellera la première guerre scolaire.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «19 novembre 1879», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Troisième République, 1879,mis à jour le : 07/04/2013