CECI n'est pas EXECUTE Février 1854

Année 1854 |

Février 1854

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Bourg d'Iré, février 1854

Cher ami,

Je suis moi-même en retard pour vous écrire, mais j'attendais, de jour en jour, l'arrivée de Madame de Caradeuc1 pour vous en faire partager le plaisir. Mais, ce soir encore nous sommes dans l'attente. M. De Caradeuc2 n'étant que très imparfaitement sorti d'un accès de goutte et obligé de compter, chaque matin, avec cette souffrance avant d'ordonner le départ. Dites à Mme Swetchine combien il y a de ménagements de ma part dans mon abstinence à lui écrire et combien nous ne cessons d'en être occupés. Hier, j'ai cru tenir une vraie bonne fortune. Un faiseur de daguerreotype a traversé le Bourg d'Iré et je m'étais tout de suite promis de faire saisir tout vifs le château, les maçons, les habitants enfin tout le mouvement, toute la vie qui nous animait alors. C'eut été une minute du Bourg d'Iré, allant rue S[ain]t Dominique présenter sa requête ou plutôt des remerciements pour les jours à venir qui nous sont assurés si généreusement. Le brouillard a mis un obstacle invincible à mon rêve, et je ne puis plus m'en prévaloir, non sans confusion ni sans regrets. Aujourd'hui, je me suis donné une consolation : le pastel fait et donné par Mme Swetchine est venu prendre, sur la cheminée du salon, la place du duc de Bourgogne, passé dans la galerie. Il ne cesse de nous regarder et nous le lui rendons bien. Il nous fait absolument l'effet d'une évocation, avec la certitude parfaite en plus, que le mauvais esprit n'y est pour rien. Je vais écrire, par le courrier de demain, à M. Blouin de faire passer 7000 francs à M. Leroy.  Voudrez-vous bien, cher ami, prélever sur le petit excédent 50 f. pour la petite chapelle de S[ain]t Quentin, en priant Mme votre mère d'agréer mes biens sincères excuses, pour une offrande si peu en rapport avec mon désir de s'unir à sa bonne œuvre. Mieux que personne vous pourrez lui dire combien on fait d'économie au Bourg d'Iré, et à quel titre je réclame son indulgence. Je ne vous ai pas parlé de mon apparition à Paris, aux derniers jours de février ou aux premiers jours de mars, parce que je croyais que nous nous étions séparés sur ce projet déjà en perspective. C'est la résolution arrêtée depuis longtemps de Marie, vous y pouvez donc compter tout à fait sauf obstacles imprévus. Parlez-moi des inquiétudes de M. Leroy et du régime de Mme de Gontaut3 à laquelle personne, après ses enfants, ne s'intéresse plus que moi. Loyde ne reçoit pas le Petit poucet4, et on lui interdit toute lecture de journal jusqu'à ce qu'elle ait 45 ans accomplis. Je ne vous enverrai plus de chapitre par M. Clavreul5, parce qu'il va nous rester jusqu'au printemps, mais je saisirai tout autre occasion. De votre côté, n'attendez plus celle que vous deviez tenir d'Augustin Cochin, qui vous mettra au courant des détails. Quant aux mémoires6, rien ne presse, et il est mieux dans vos mains que dans les miennes. Êtes-vous bien sûre que la lettre de Mme la duchesse d'Orléans soit apocryphe? Je ne vous parle plus de Russes ni de Turcs, je reste suspendu à vos nouvelles. L'histoire même se découpe de nos jours en romans feuilletons, et semble n'avoir plus d'autre but, que de tromper, en déguisant, la curiosité du lecteur. Je fais donc comme tout le monde, et j'attends avec anxiété le numéro suivant. Mille et mille tendresses.

Alfred.

Notes

1Emilie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1800-1882), belle-mère de Falloux.
2Raoul-Marie-Victor de Caradeuc, marquis de la Chalotais (1789-1859), capitaine de cuirassiers, beau-père de Falloux.
3Adèle Gontaut-Biron, née de Rohan-Chabot (1793-1869), sœur du cardinal de Rohan. Fervente catholique.
4Sans doute une revue pour enfant, Loyde de Falloux a alors 11 ans.
5Secrétaire de Falloux.
6?

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Février 1854», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1854, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 14/09/2012