1871 |
4 octobre 1871
Jules de Bertou à Alfred de Falloux
Rochecotte, 4 octobre 1871
Cher ami, Un télégramme d'Anton1 annonçant sa rentrée à Berlin le 7 à déterminé sa femme2 à se mettre en route dès le soir afin d'arriver en même temps que lui. La mère espérait garder sa fille 48 heures de plus et ce départ un peu précipité lui est douloureux. En ce temps ci, quand on se sépare sait-on si on se reverra jamais? Il est bien vrai que l'incertitude est de tous les temps, mais il y a des moments où elle s'accentue et se fait sentir avec plus d'acuité et il est bien évident que nous sommes à un de ces moments là. Il n'y a pas aujourd'hui de nouvelles de l'Auvergne et celles d'hier qui ne parlaient encore que de l'accueil de Murat3, disait qu'il avait été empressé et cordial. La prochaine lettre sera datée de Marcenat et donnera des nouvelles plus directes des électeurs du canton. Ici la note qui domine en tous temps c'est le document à soi même, la conservation de ce qui existe, le culte du fait accompli. Rien n'est changé à ce point de vue et comme le beurre se vend plus cher en ce moment que sous l'Empire bien des gens inclinent à penser que la République de M. Thiers pourrait bien avoir de bon. Je crains qu'il en soit ainsi que bien des points et que l'ensemble des conseillers généraux ne soient choisis parmi ceux qui professent que le moins mauvais des gouvernements est encore celui que l'on a ? Je vous ai parlé du livre du général Wimpffen4. J'en ai achevé la lecture hier soir afin de pouvoir le rendre à la princesse qui l'emporte et j'ai été frappé d'y trouver que dès Sedan Mr Bismarck5 déclarait déjà au général français que la Prusse ne pourrait traiter de la paix que sur la base de la cession de l'Alsace Lorraine et d'une indemnité de guerre de 4 milliards. Voilà qui contredit catégoriquement les assertions de M. Thiers prétendant qu'en novembre il aurait pu traiter pour l'Alsace seule et deux milliards. La princesse6 croit que Thiers a plus raison c.a.d. dit plus vrai sur ce point que Wimpffen, mais comme elle ajoute cependant que son mari lui recommandé la lecture de Wimpffen comme ce qui a été écrit de plus sérieux sur Sedan je lui demande de l'interroger sur le fait particulier des conditions de la paix qu'il serait intéressant de connaître comme mesure des illusions que le négociateur de l'armistice a pu se faire ou nous faire. Je lis dans les journaux de ce matin que la signature du ministre de la guerre a été dévolue à l'amiral Pothuau7 afin d'éviter au général de Cissey8 de mettre son nom au bas de l'ordonnance qui appellera Bazaine9 devant le conseil de guerre chargé de statuer sur sa conduite et sa capitulation. Le G[énér]al de Cissey ayant été de l'armée du Rhin sous les ordres du maréchal on comprend parfaitement qu'il lui soit pénible aujourd'hui de le traduire devant un conseil de guerre. Voulez vous remercier M. Riobé de ma part, de la très touchante lettre que j'ai reçu de lui ce matin en attendant que je lui en parle moi même et aussi au nom de madame de Castellane. Mad[ame] de Rayneval10 est partie hier pour retourner à Pau où elle aura plus chaud qu'ici; l'abbé Seigneur est retourné à Paris et l'abbé Hersant est venu le remplacer mais pour peu de jours car il doit rentrer dans sa paroisse pour le dimanche.
Au revoir, cher cher ami et bien à vous de tout cœur.
Jules