CECI n'est pas EXECUTE 3 décembre 1857

Année 1857 |

3 décembre 1857

Alfred de Falloux à Charles de Montalembert

Bourg d'Iré, 3 décembre 1857

Cher ami,

Albert de Broglie m'écrit en même temps que vous qu'il envoie carte blanche à Cochin. Je n'hésite nullement à en faire autant comme vous le pensez bien et Monsieur Lenormant1 m'a quitté dans la meilleure humeur et dans les dispositions les plus conciliantes du monde m'a-t-il paru. Je n'ai rien discuté à fond avec lui puisque je n'avais pouvoir de rien résoudre, mais nous avons un peu touché à tout et la bonne harmonie sur l'ensemble est une bonne chance pour les détails. Il est parti à six heures du matin le jour où votre lettre m'arrivait à midi. J'étais encore dans l'espoir de votre venue et je ne lui avais confié deux mots pour vous dire à Paris l'admiration, très profonde et lui écrire du Bourg d'Iré. Dites-nous maintenant cher ami, que cette magnifique inspiration n'a rien coûté à votre santé. Quant à mon enthousiasme il s'est émis immédiatement traduit par un abonnement à L'Indépendance belge. Je veux me passer le plaisir de ses imprécations et ne rien perdre d'une lutte qui va redevenir celle de la catholicité toute entière.

Monsieur Lenormant avait dîné chez le chancelier2 la veille de son départ avec Monsieur de Marcellus3 pour lequel le maître de la maison agissait très énergiquement. On comptait comme une bonne fortune l'absence de Monsieur Mérimée4 au mois de février le Journal des débats résiste en faveur de Cuvillier-Fleury. Carné5 semblait tout à fait réservé, d'un commun accord pour une autre occasion.

Combien nos regrets ont doublé, cher ami quand nous avons su le bon conseil et le bon exemple de Madame de Montalembert. Que font les jours courts quand on a la rare fortune d'être réunis sous le même toit et dans les mêmes pensées.

Ce que j'ôte à mes nuits, je le donne à mes jours dit le vieux Venceslas de Rotrou6. L'hiver retourne ce vers la et rien n'y perd. Notre querelle sur la question du bien et du mal dans notre temps, valait bien d'ailleurs de longues soirées. Ainsi nous subissons votre arrêt, cher ami, mais nous n'y acquiesçons ni Madame de Falloux ni moi et si Dupin7 n'était désormais en travers de la Cour de Cassation nous y aurions recours. Mais à propos de Dupin, pourquoi lui prêter vous si gratuitement la majesté des cheveux blancs, et parlez-vous de le souiller comme s'il avait attendu sa soixante-onzième année, pour recevoir sa première tâche ? Il me semble que c'est un caractère qui se continue et non pas un caractère qui se dément. Il n'ajoute rien aux turpitudes contemporaines, il leur appartenait déjà par droit de nature.

Enfin, cher ami, soignez vous, ménagez vous, c'est la seule consolation que ceux qui vous aiment comme nous peuvent accepter en échange du chagrin de ne pas vous voir.

Alfred

Notes

1Lenormant, Charles (1802-1859), archéologue et historien. Gendre de Mme Récamier, il dirigea le Correspondant de 1845 à 1855.  
2Ernest de Royer Dupré (1808-1877), avocat et homme politique. Il prit la direction du ministère de la Justice succédant à Ch. Abbatuci, décédé quelques jours auparavant. Il conservera ce poste jusqu'en 1859.
3Marie-Louis-Jean-André-Charles Demartin du Tyrac comte de Marcellus (1795-1865), diplomate  et écrivain, auteur notamment de Chants populaires de la Grèce moderne.
4Mérimée, Prosper (1803-1870), romancier. Familier de la cour impériale de Napoléon III, passionné d'archéologie, collaborateur de la Revue des Deux Mondes, auteur de romans célèbres (Carmen), entré à l’académie en 1844, il était très hostile aux catholiques de l'Académie.  
5Carné, Louis Joseph Marcein comte de (1804-1876), historien et journaliste  légitimiste ; attaché et secrétaire d'ambassade sous la Restauration ; il s’était rallié à la Monarchie de Juillet. Il fut un de ceux qui collaborèrent au Correspondant dés sa fondation.. Député du Finistère (collège de Quimper) de 1839 à 1848, il appartint au Parti social de Lamartine, puis défendit les intérêts catholiques. Sous le Second Empire, il collabora au nouveau Correspondant, au Journal des Débats, à la Revue des Deux Mondes et à la Revue Européenne. Candidat à l'Académie française, il y entrera le 23 avril 1863.
6Jean Rotrou (1609-1650), dramaturge et poète français, auteur d'une pièce intitulée « Venceslas ».
7André Marie jean-Jacques Dupin, dit Dupin aîné (1783-1865), jurisconsulte, magistrat, président de la Chambre, procureur général à la Cour de Cassation. Bien qu'orléaniste, il conservera son poste de procureur après le coup d'état ne démissionnant qu'après le décret relatif aux biens de la famille d'Orléans. Il  venait néanmoins de reprendre ses fonctions.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «3 décembre 1857», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1857, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 14/09/2013