Année 1860 |
4 octobre 1860
Pierre-Antoine Berryer à Alfred de Falloux
Augerville, 4 octobre 1860
Mon cher ami, je ne m'étonne pas de la détermination du chef de l'État, je vous avais dit, je crois, que certainement il ne voudrait point d'un procès sur ces questions, contre vous, point à votre occasion d'une mesure violente contre le journal1. On assure d'ailleurs que le zèle des ministres a été aussi excessif contre vous que leur pénétration a été courte à l'égard des pensées du maître. Les ménagements à votre endroit sont d'accord avec l'envoi d'un nouveau corps de troupes à Rome. Il faut donner d'autant plus de corps aux apparences mensongères, qu'on a été plus explicite sur les résolutions contraires que l'on a conseillées ou approuvées à Chambéry2. Comment ne pas entretenir dans leur béate tranquillité ceux qui se complaisent à être dupes ? Si vous adressez quelques compliments à l'évêque de Nantes3 qui n'est pas de ces gens-là, soyez, je vous prie, auprès de sa grandeur, l'interprète de mes hommages et de mes remerciements. J'espère que vous saisirez bientôt quelque occasion de me dire que vous êtes de jour en jour moins mécontent de la santé de Madame de Falloux et que vous ne gardez que de bons souvenirs de votre voyage à Augerville qui m'a rendu si heureux pendant quelques jours. Madame la marquise de Lagrange4 m'écrit qu'elle reste sous le charme du plaisir qu'elle a eu à faire ici votre connaissance. Elle me charge de vous dire que Mademoiselle Claire de Lagrange demeure à Paris, 42 rue du cherche Midi. C'est tout près des frères de Lacombe5 et l'un d'eux pourrait causer de votre part avec elle et vous dire si en effet elle peut vous donner quelques détails qui ajouteraient à l'intérêt de vos deux volumes.
Merci, mon ami, de votre trop aimable souvenir pour ma belle-sœur et mes deux neveux, ces petits gaillards-là se montrent assez intelligents, vous avez frappé leur jeune imagination et chaque jour ils me disent gaiement, à votre santé mon oncle et à la santé de M. de Falloux.
Je vous félicite d'avoir pu voir Mme de Lamoricière6, son admirable courage ne m'étonne point, depuis le jour où, pour la première fois, j'ai eu l'honneur de me présenter chez elle à Bruxelles, j'ai conçu la plus haute estime des nobles qualités de son esprit et de son cœur. Je n'ai pas hésité à lui adresser ces jours derniers des félicitations, de telles personnes comprennent le je ne sais quoi que le malheur, dit Bossuet, ajoute à la grandeur des héros7. Si vous profitez encore de votre heureux voisinage ne manquez pas de redire mes respectueux sentiments à Mme de Lamoricière et à Mme la comtesse d'Auberville8.
Chers amis, je vous envoie les embrassements de ma vieille amitié, mettez-moi au pied de Madame de Falloux.
Berryer