CECI n'est pas EXECUTE 25 septembre 1860

Année 1860 |

25 septembre 1860

Alfred de Falloux à Victor de Persigny

Bourg d'Iré, 25 septembre 1860

Mon cher ami,  

Je ne suis revenu au Bourg d'Iré que depuis vingt quatre heures à la suite d'une longue absence aux bains de St Gervais et en Suisse. On m'y renvoyait mes lettres mais point mes journaux. C'est donc tout à l'heure seulement que je connais votre amical envoi de St Étienne. Je ne perds pas un instant pour vous remercier de ce souvenir et pour vous répéter que tout ce qui vient de vous me demeure toujours également cher et sensible. À ce titre, cher ami, vous me laisserez ajouter que j'avais été fort attristé, en le lisant à St Gervais, de votre second discours1. Vous savez combien j'admets volontiers la contradiction, et combien j'ai toujours respecté, comme vous l'avez fait vis-à-vis de moi, quelques-unes des dissidences radicales de nos principes. Je ne pouvais donc prétendre à vous voir envisager comme moi la question italienne, et je me bornais à demander à Dieu avec ardeur qu'il vous tint à l'écart de toute collision gratuite et directe. Malheureusement je n'ai été exaucé ni par lui ni par vous, et pour surcroît de tristesse, il me semble, pardonnez-moi mon incurable franchise, que vous avez un peu manqué à votre propre caractère. Tout le monde attend de vous et honore en vous ce qui proviendra d'un dévouement absolu, sauf ce qui entame la vérité et la loyauté de sa parole.

Êtes-vous resté dans les limites en rendant le Pape seul responsable de ce qui se passe en Italie, en affirmant qu'il n'a jamais consenti aux réformes et en vous en prenant aux Autrichiens de la destruction des États du St Siège ? On aurait été bien moins surpris d'entendre dans votre bouche l'apologie d'une doctrine radicalement hostile que l'essai d'un travestissement des rôles et d'une doucereuse hypocrisie qui s'est proposé depuis plusieurs années d'en venir à ses fins pas à pas et de réussir à détrôner le Pape sans avoir perdu un seul compliment d'évêque ! J'ai été très vivement sollicité de répondre directement dans le Correspondant2, à votre discours, cher ami. Je me suis refusé à cette polémique directe pour deux raisons : d'abord parce qu'elle aurait trop blessé notre vieille, profonde et éprouvée amitié, ensuite parce que j'aurais été révolté, entre tant d'adversaires de ma cause, de choisir un seul honnête homme que j'y trouve. J'ai donc voulu m'adresser au premier coupable3, et j'ai essayé de le faire avec autant de modération que de netteté. Je vous en fais juge en écrivant à Paris par le même courrier pour qu'on vous envoie le numéro du Correspondant qui paraît aujourd'hui avec mon article. Veuillez le lire et lui accorder un peu d'attention. Vous me ferez grand plaisir ensuite, si vous m'en accusez réception, de me dire que nous aurions bientôt l'occasion d'en causer de vive voix, à cœur ouvert.  

Ma femme est encore excessivement faible quoique se trouvant mieux de l'air de la campagne. Loyde est à merveille. Tout le monde vous envoie un fidèle souvenir, ainsi qu'à Madame de Persigny4, et moi je vous embrasse de tout cœur.  

A. de Falloux.

Notes

1Falloux fait sans doute allusion au discours de Persigny sur l'affaire de Rome prononcé à Roanne le Ier septembre 1860, donc peu après celui de Saint-Etienne (le 27 août 1860).
2Dans ce numéro du 25 septembre Le Correspondant publiait un article de Falloux « Question romaine : antécédents et conséquences de la situation » dans lequel la politique italienne de Napoléon III était vivement stigmatisée.
4Eglée-Napoléone-Albine, comtesse de Persigny (1832-1890), née Ney de la Moskowa ; épouse, depuis 1852 du comte de Persigny.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «25 septembre 1860», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, Année 1860, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 24/12/2023