CECI n'est pas EXECUTE 5 août 1871

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5 août 1871

Charles de Lacombe à Alfred de Falloux

5 août 1871*

Cher et bon ami,

Je sais que Cumont nous a tenu au courant de notre vie parlementaire. Les choses ne marchent pas aussi vite que vous l'espériez peut-être en quittant Versailles. Mais il y a chaque jour un progrès, et si les circonstances étaient moins pressantes, on aurait rien à souhaiter. Notre groupe des vingt et un se réunit chaque jour1 ; d'autres essais de réunion se tentent, sous la même inspiration. De tous côtés, on sent le besoin d'arriver à une entente régulière et permanente des nuances diverses de la majorité. Cette entente, les événements lui donneront bientôt l'occasion de se manifester. Le projet Ravinel2 a réuni hier une immense majorité dans les bureaux, toutes les commissions lui sont favorables. Le projet de la garde nationale a été adopté par la commission de l'armée, qui a nommé pour rapporteur le général Chanzy3 très hostiles aux gardes nationales4. Quant à la proposition Rivet5, elle rencontre de grandes difficultés, la réunion Saint-Marc Girardin6 lui était jeudi soir absolument contraire. On est d'avis, cependant, qu'il y a quelque chose à faire, ne fût-ce que pour entrer dans le faible de ce malheureux pays, qui croit se sauver avec des formules ; mais ce quelque chose, on ne l'a pas trouvé. On voudrait en faire sortir une garantie positive de la responsabilité ministérielle, et avec M. Thiers, il n'y a pas à se dissimuler qu'on ne l'obtiendra guère ; c'est une question de conduite plus que de définition ; c'est en s'organisant elle-même plus qu'en négociant avec M. Thiers que la majorité arrivera à faire prévaloir ses vues. Sous ce rapport, le double incident de la proposition Ravinel et du projet de la commission de l'armée7 me paraît un des meilleurs arguments. J'aurais voulu rester ici quelque temps encore, mais je suis si fatigué que je ne puis retarder le moment d'aller aux eaux ; je partirai la semaine prochaine, et à moins que la saison ne devienne trop rude, j'irai au Mont-Dore. On parle de ne pas interrompre la session, et de n'avoir que des congés partiels, concertés entre les diverses nuances de la Chambre. Il paraît qu'on fit ainsi en 1848. Ce serait peut-être plus prudent. Qui sait tout ce qui pourrait se passer en l'absence de l'Assemblée ?

Adieu, cher ami, nous aurions bien besoin de votre présence ; personne ne laissant plus vivement que moi, dont vous connaissez le tendre attachement.

Ch. de Lacombe.

*Lettre publiée dans Journal politique de Charles de Lacombe, Paris, Picard, t. I, 1907.

Notes

1Le manifeste du comte de Chambord du 5 juillet 1871 dans lequel le prince réaffirmait sa fidélité au drapeau blanc avaient provoqué des scissions dans le camp légitimiste. Lacombe et plusieurs de ses amis préférèrent se désolidariser des inconditionnels du drapeau blanc et continuer à œuvrer, avec l'ensemble des conservateurs, en faveur d'un compromis susceptible d'instaurer une monarchie constitutionnelle.
2Ravinel, Charles de, baron (1839-1905), homme politique. Conseiller général des Vosges sous l'Empire, il avait été élu député des Vosges à l'Assemblée nationale du 8 février 1871. Siégeant avec le centre droit, il venait de proposer le transfert à Versailles des administrations et des services publics. Cette proposition sera rejetée.
3Chanzy, Alfred Antoine Eugène (1823-1883), général. Il fut nommé commandant de l'armée de la Loire pendant la guerre franco-prussienne. Élu des Ardennes à l'Assemblée nationale de 1871, il siégea au centre gauche. Le 10 décembre 1875, il sera élu sénateur inamovible. Son attachement au maréchal Mac Mahon et son hostilité à la politique anticléricale l'éloigneront peu à peu de ses amis du centre gauche.  
4Nommé rapporteur de la commission chargée d'examiner la question des gardes nationales à l’encontre desquelles il ne cache pas son hostilité, il proposa à l'Assemblée leur dissolution.
5Rivet, Jean-Charles (1800-1872), préfet et homme politique. Député de Corrèze sous la Monarchie constitutionnelle (1839 à 1846), puis représentant du Rhône à l'assemblée constitutionnelle de 1848, il fut élu par la Corrèze à l'Assemblée nationale du 8 février 1871 où il s'inscrivit au centre gauche et apporta un soutien sans faille à la politique de Thiers. Sa proposition, instituant la présidence de la République à la place du titre de chef du pouvoir exécutif détenu par Thiers, sera adoptée le 31 août 1871 par l'Assemblée nationale qui, dans le même temps se déclare constituante.
6Groupe du centre droit rassemblé autour du journaliste Saint-Marc Girardin. Girardin, Marc dit Saint-Marc G. (1801-1873), professeur, écrivain et homme politique. D’opinions libérales, il était entré au Journal des Débats dés 1826. Maître des requêtes au début de la Monarchie de Juillet, il fut élu à la Chambre des Députés en 1834. Devenu professeur suppléant à la Sorbonne en remplacement de Guizot entré au ministère, il fut l’un des universitaires les plus brillants de la Monarchie de Juillet, de la Seconde République et du Second Empire. Spécialiste de littérature française du XVIIIème siècle, il publia plusieurs ouvrages dont De la vie et des ouvrages de Jean-Jacques Rousseau (1862). Élu à l’Académie française en 1844, il était membre du Conseil de l’Instruction publique. En retrait de la vie politique à partir de la Révolution de 1848 et jusqu’à la fin de l’Empire, il fut réélu aux législatives de février 1871. Devenu l’un des leaders du Centre, il soutint la politique de Thiers.
7Présenté le 20 juillet 1871, ce projet établissait un service obligatoire pour tout français âgé de vingt à quarante ans.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 août 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1871, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 28/10/2013