CECI n'est pas EXECUTE La Restauration

De Charles X à Louis-Philippe |

La Restauration

Milieu familial et éducation

                   

Milieu familial

Alfred Pierre de Falloux est né, le 7 mai 1811, à Angers, Impasse des Jacobins, dans le modeste pied à terre que possédait son père, «une petite demeure à laquelle on accédait par une échelle de meunier1

Les Falloux étaient une vieille famille angevine, de souche bourgeoise. La filiation peut être établie à partir du XVIe siècle avec Loys Falloux dont le fils Antoine, marchand-fermier à La Lande-des-Verchers, dans le Saumurois, était conseiller en l'élection de Montreuil-Bellay et échevin de cette ville. Antoine de Falloux ayant eu trois fils, la postérité s’était divisée en trois branches, celle du Lys, celle de Châteaufort et celle du Coudray dont Alfred de Falloux est issu.

Conseiller au Présidial d'Angers, Guillaume Claude François Falloux, son grand-père  avait épousé, en 1769, Geneviève Marie D'Estriché dont le père, seigneur et haut-justicier des Loges de Baracé, près de Durtal, dans le Baugeois, était conseiller correcteur en la Chambre des Comptes de Blois et conseiller secrétaire du roi. Arrêtée le 4 novembre 1793, Geneviève Marie Falloux, avait été incarcérée au château de Montreuil-Bellay, transformé en prison. Elle devait y mourir de typhoïde quelques semaines plus tard. Son époux ne lui survivra que quelques mois, laissant un fils, Guillaume Frédéric Falloux, né à Angers le 17 mai 1774. Comme ses parents, Guillaume Falloux était demeuré fidèle à la famille royale. En janvier 1792, à peine sorti de l'adolescence, il était parti grossir les rangs de l'armée d'émigration. Après avoir fait la campagne de 1792 dans une Compagnie de la Noblesse d'Anjou du Régiment Royal-Comtois sous les ordres des Princes, il avait pris part au siège de Maastricht, en février 1793. Il s'y était conduit avec distinction lors des deux sorties entreprises sous le commandement du Baron de La Ferronnays, lieutenant général des armées du roi. Entré peu de temps après, comme simple volontaire dans le régiment du Loyal-Emigrant, il y avait servi jusqu'à la fin 1794. Rapidement promu officier dans le régiment de Talleyrand-Périgord que commandait le duc de Rohan, il avait participé, aux côtés de deux mille émigrés, au débarquement de Quiberon le 15 juillet 1795. Blessé lors de l'invasion de la presqu'île par Hoche et ses hommes, il avait réussi à s'enfuir et à rejoindre les côtes anglaises, avant d'aller s'établir à Londres.

 Le premier ministre anglais était alors le jeune et brillant William Pitt qui avait su rendre tout son prestige au gouvernement parlementaire. Sa politique séduisait Guillaume Falloux qui ne parlait de lui qu'avec un réel enthousiasme, ce qui fera dire plus tard à Alfred de Falloux: «L'intérieur de ma famille présentait donc cette singulière anomalie des opinions les plus passionnément monarchiques et d'un culte intime pour le succès et la gloire parlementaire2.»  

 A la fin de l'année 1797, Guillaume Falloux quittait le service. Ayant obtenu sa radiation de la liste des Emigrés, un certificat d'amnistie et la levée du séquestre de ses biens, il était rentré en France. Il regagna l'Anjou en novembre 18023, démuni de la plus grande partie de sa fortune, vivant tantôt dans sa maison d'Angers (impasse des Jacobins), tantôt, dans la vallée du Loir, à Baracé, au château des Loges, propriété d’Armand-Victor D'Estriché, son oncle maternel. C'est là qu'il fit la connaissance de sa future épouse, Loyde Louise Philiberte Renée de Fitte de Soucy4 demeurant au château du Plessis, à Huillé, une commune limitrophe de Baracé.  Le mariage fut célébré le 27 octobre 1806 à Huillé. Née à Versailles le 4 juillet 1784, la jeune mariée était fille de feu  François Louis de Fitte de Soucy décédé le 31 juillet 17935 et de dame Renée Suzanne Marie Louise de Mackau, sous-gouvernante des enfants de Louis XVI6.

Après le mariage, le couple était allé s'installer non loin de là, dans la commune du Bourg d'Iré, à La Maboulière. Entrée dans le patrimoine familial au début du XVIIIe siècle, cette maison de maître était semble-t-il assez rustique. Falloux dit d'ailleurs que sa mère, habituée au confort et aux fastes du château de Versailles ne l'appréciait que modérément7. La maison n'était toutefois occupée qu'une partie de l'année, au printemps et en été. Comme nombre de familles des couches sociales supérieures, les époux Falloux avaient coutume de résider le reste de l'année en ville, à Angers.

Contrairement à son épouse, Guillaume Falloux appréciait tout particulièrement ses séjours à La Maboulière. Très vite, il avait été conquis par les charmes du Bourg d'Iré dont il deviendra maire le 2 janvier 1808, poste qu'il occupera jusqu'à sa démission, le premier janvier 1826. Cette nomination était intervenue quelques mois après que sa femme eut mis au monde le premier de leurs deux enfants. Frédéric, le frère aîné d'Alfred était né le 15 août 1807.

Le pays

Peuplé de près d’un millier d’âmes, le Bourg d’Iré était une commune typique du bocage angevin avec ses champs clos de haies, son bourg étriqué, ses hameaux et ses fermes éparses. Comme dans les communes alentour, les habitants restaient, dans leur grande majorité, sans contact avec l’extérieur et à l’écart du monde urbain. Segré, la sous-préfecture, ne méritait guère le statut de ville. L’agglomération ne comptait pas plus de cinq cents habitants sous l’Empire et ce n’est que sous la monarchie de Juillet qu’elle atteignit et dépassa le millier. Plus de quarante kilomètres la séparaient d’Angers, chef-lieu du Maine-et-Loire. Il fallait alors plus de deux jours, avec une étape au Lion d’Angers, pour franchir cette distance en charrette à bœufs.

La petite commune se situait au cœur d'une région dont les habitants n'avaient cessé, depuis le début de la Révolution, de témoigner, parfois avec vigueur, leur attachement aux Bourbons, manifestant, à plusieurs reprises, leur profonde hostilité au régime républicain. Au Bourg d’Iré comme dans l’ensemble du Segréen, le refus du recrutement et le soutien aux prêtres réfractaires avaient provoqué, en mars 1793, de violents affrontements entre les populations et les gardes nationales. Falloux n'a donc pas tout à fait tort d'assimiler son pays à la Vendée: «La Vendée telle que nous la présentaient les Mémoires de Madame La Rochejacquelein se prolongeait jusqu'au pays de Segré appelé alors le Craonnais parce qu'il relevait de la baronnie de Craon»8. A ses débuts, tout du moins, l'insurrection, tant dans ses motivations que dans son déroulement avait été semblable de part et d'autre de la Loire, du côté de Segré comme dans le Choletais9. C'est par la suite, du fait de la répression militaire, que l'on en viendra à distinguer, la région Vendée des pays de chouannerie. Or, précisément, le Segréen allait devenir le fief même de la chouannerie, «l'ardent et pur foyer des traditions monarchiques», souligne Falloux. Plusieurs décennies après l'échec du soulèvement de la Vendée, diverses bandes de chouans y seront encore signalées, faisant de ce pays de bocage l'un des moins sûrs du territoire.

Dans ses Mémoires, Falloux décrit ainsi son environnement: «Entre tous les villages du pays, celui du Bourg d'Iré était l'un des plus pittoresques et aussi des plus primitifs. Sa vieille église fort délabrée, mais à porte romane et au clocher de pierre, s'élevait sur un petit rocher que l'on gravissait par des marches irrégulières. Le cimetière enveloppait l'église; les deux ou trois maisons de quelque apparence donnaient asile, le dimanche aux habitants qui venaient des extrémités de la paroisse et qui, ayant quarante ou cinquante échaliers à franchir pour gagner la messe ne se souciaient pas de redoubler cet exercice pour les vêpres. Les échaliers sont une sorte de clôture faite de barreaux superposés et placés à l'angle des champs pour donner passage aux humains et l'interdire aux animaux. On arrivait au village par un sentier bien battu, appelé le chemin de la messe, plus court et plus sec que les chemins creux, et qu'on nommait aussi voyette, comme le vieux français; car il est très exact de dire que les paysans du Craonnais parlaient et parlent encore la langue du sire de Joinville. Ce n'est pas un patois, c'est un idiome, où se retrouvent une foule de mots, tombés ailleurs en désuétude. Outre l'échalier et la voyette, chaque champ avait et a encore une bordure de châtaigniers et de chênes de hautes futaies, dont le nombre diminue de jour en jour parce que nous sommes moins économes que nos pères10

A l'exception de deux ou trois communes où étaient exploitées quelques carrières d'ardoise, le Segréen demeurait encore un pays essentiellement agricole offrant «une structure toute féodale11 » tant la grande propriété nobiliaire restait prédominante. Autour du Bourg d'Iré, ces aristocrates étaient les de Narcé, de Dieusie, de la Potherie, de Villemorge, de Candé etc. Dans la paroisse même du Bourg d’Iré, les Falloux avaient pour voisin le comte et la comtesse d’Armaillé, propriétaires du château de la Douve12 ».

D'Angers à Paris

  C'est au Collège royal d'Angers, où il avait rejoint son frère aîné, que le petit Alfred commença sa scolarité. A la différence de Frédéric, qui était pensionnaire, Alfred entra au collège comme élève externe, pour y suivre, de 1820 à 1824, les cours de la huitième à la cinquième. Il eut pour condisciples Théodore Pavie, devenu plus tard professeur au collège de France, Guillaume Meignan, futur cardinal archevêque de Tours, et Prosper Guéranger, qui rétablira l'ordre bénédictin en France.

  Alfred de Falloux fera des études tout à fait honorables dans ce collège, remportant même, au début, tous les premiers prix et obtenant encore de beaux succès durant les années suivantes. En classe de cinquième, le proviseur aurait d'ailleurs écrit au bas de l'un de ses bulletins: «Cet enfant promet beaucoup».

  Le jeune Alfred vivait en famille dans une atmosphère pieuse entretenue par une pratique religieuse d'autant plus assidue que la maison était située à quelques pas de la cathédrale. Dans ses  Mémoires, il raconte qu'il avait cru, à ce moment-là, avoir la vocation. «A peine eus-je entendu quelques discours à Saint Maurice, cathédrale d'Angers, que je me crus une vocation ecclésiastique et me mis à composer des sermons. Ma mère et quelques-unes de ses amies me taillèrent dans de vieux châles des chapes et des chasubles, et mes camarades se transformèrent volontiers en auditeurs»13.  

 En 1824, ses parents décidèrent d'aller s'établir à Paris.  Ils aménagèrent rue Sainte Croix, aujourd'hui rue Caumartin, dans le quartier de la Chaussée d'Antin, lieu de résidence des hommes d'affaires et des banquiers, symbolisant modernité et dynamisme14.  

 En venant vivre dans la capitale, les Falloux entendaient sans doute permettre à leur cadet, auquel ils attribuaient de grandes dispositions oratoires, d'y achever ses études dans les meilleures conditions. Quant à Frédéric, qui se destinait à la prêtrise, il était question de lui faire faire, au préalable, des études de droit.

Compte tenu de l’état de leurs finances, les Falloux vivaient chichement. Les difficultés de la vie quotidienne furent d'ailleurs à l'origine de crises fréquentes au sein du ménage, M. Falloux s'efforçant de modérer les dépenses excessives de son épouse qui se considérait d'une famille supérieure à la sienne et entendait mener un train de vie correspondant à son rang.  

  Un héritage conséquent vint subitement modifier cette situation. Décédé le 8 juillet 1824, Guillaume Lemarié de La Crossonnière, un cousin de M. Falloux, lui laissait une succession qui devait être partagée par moitié avec Jean-Baptiste Ménage. En dépit d'un train de vie modeste (il habitait un vieux manoir de triste apparence), ce cousin possédait l'une des plus grosses fortunes d'Anjou, composée en grande partie de biens fonciers. Grâce à ce legs, qui leur procurait des revenus annuels supérieurs à 70.000 francs, les Falloux allaient pouvoir vivre dans une aisance plus que relative15. Par ailleurs, et pour couronner le tout, l'année suivante, Guillaume Falloux fût anobli par Charles X, en reconnaissance de son dévouement monarchique. Une ordonnance du 2 mai 1830 l’autorisa à fonder un majorat auquel serait attaché le titre de comte, en faveur de son fils aîné16. Ce sont précisément certains des biens légués par le cousin qui firent l'objet de la constitution de ce majorat17. Frédéric ayant choisi d’embrasser la carrière ecclésiastique, c’est Alfred qui hérita du titre de vicomte.                                                                                            

  Alfred fut inscrit comme élève externe, en classe de quatrième, au collège Bourbon situé tout près du domicile familial, dans cette même rue Sainte Croix. Ses parents avaient demandé à l'un de ses professeurs d'Angers de les rejoindre à Paris en qualité de précepteur. Désireux de lui faire partager son goût pour le théâtre, celui-ci emmena à plusieurs reprises son élève au Théâtre français. C'était alors le règne de Mlle Mars et surtout de Talma. L’admiration du jeune Alfred pour le grand tragédien semble avoir éveillé en lui quelques aptitudes pour la comédie; à l'occasion, chez les amis de sa mère, il ne dédaignait pas faire état de ses talents18.

  Comme chez nombre d'adolescents, la vive croissance d'Alfred altéra quelque peu son état de santé, suscitant l'inquiétude maternelle: «J'ai vu plusieurs médecins, écrit Mme Falloux à sa belle-sœur. Tous me disent qu'il n'a besoin que d'être fortifié parce qu'il grandit beaucoup, tous prescrivent les bains de mer et l'exercice à cheval, une nourriture saine qui ne puisse pas charger l'estomac qu'il a délicat. Aussi, chère amie, pour suivre les conseils nous allons à Dieppe nous partons le 27. Si l'air et les bains de mer produisent l'effet que je désire si vivement nous passerons à Dieppe juillet et une partie d'août, de là nous irons chez toi...19

 

   Au collège, Alfred se lia avec quelques-uns de ses compagnons de classe20. Mais il restait un provincial, les parisiens lui inspirant appréhension et méfiance.

  De toutes les maisons de la capitale auxquelles ses parents rendaient visite, c'est sans doute l'hôtel Castellane où il éprouvait le plus de plaisir à les accompagner se prenant d'amitié pour Henry, le petit-fils du marquis de Castellane, ancien député de l'Assemblée Constituante. Dans son journal, le père d’Henry, le maréchal de Castellane, dit du jeune Alfred qu’il était «spirituel et bien tourné21

Son père l'emmenait aussi quelquefois chez le duc de Talleyrand, ancien colonel au régiment du Périgord où il avait servi durant l'émigration. Sa grand-mère maternelle ayant vécu aux côtés de Marie-Antoinette durant les difficiles journées des 20 juin et 10 août 1792, Alfred avait également son entrée dans le salon de la duchesse d'Uzés dont l'oracle était Charles Brifaut22.

  Alfred termina ses classes en brillant élève, achevant en une seule année, 1827-1828, sa rhétorique et sa philosophie. Il envisageait alors de suivre la voie empruntée par son frère. Mais son père s'y était fermement opposé. Avait-il d'autres projets pour son fils ? Rien n'est moins sûr.  

  Quoi qu'il en soit, Falloux restait très attentif aux affaires de l'Eglise et aux débats qui agitaient le monde catholique. Dès cette époque, il noua des rapports très étroits avec les frères Riancey, Henri et Charles, rédacteurs, quelques années plus tard, à L'Union, le journal des légitimistes. Avec eux, il fonda l'Institut catholique, sorte de conférence religieuse. C'est dans ce cadre qu'il s'exerça au métier d'orateur et développa ses talents d'improvisation.

En dehors des questions religieuses, Falloux se montrait également très intéressé par la politique. Au collège, il lisait déjà assidûment les journaux et suivait avec passion les débats parlementaires. Légitimiste, il pensait, à l'instar des jeunes gens de son milieu, que dans un conflit entre le roi et les chambres «le dernier mot devrait appartenir au roi». Dans ses Mémoires, il évoquera néanmoins sa méfiance à l'égard d'un pouvoir sans partage: «Il fallait se garder de pousser trop loin ou d'exercer trop légèrement les droits de la couronne.» Cette réserve a fait dire, à juste titre, à E. Veuillot, le frère du célèbre polémiste, qu'en racontant qu'il eut très tôt des tendances libérales et parlementaires, Falloux «arrange son personnage en vue de l'avenir»23. Dans ses appréciations concernant la rupture qui éclata entre Villèle, chef du gouvernement et Chateaubriand, Falloux apparaît, en effet, moins libéral qu'il ne le prétend dans ses Mémoires. Le renvoi de Chateaubriand, qui occupait, on le sait, le ministère des affaires étrangères, était intervenu peu après les élections des 26 février et 6 mars 1824 qui s'étaient traduites par l'effondrement de l'opposition libérale. Fort de ces résultats, Villèle, qui ne supportait pas de laisser Chateaubriand gouverner en maître la diplomatie, était décidé à se débarrasser de son brillant ministre. Il saisit l'occasion qui lui fut offerte lors de la discussion du projet de conversion des rentes, en mai 1824. Accepté de justesse par la chambre des députés, le projet du gouvernement avait été rejeté par la chambre des pairs. Dans le débat, Chateaubriand s'était réfugié dans une attitude passive, ce qui n'avait pu qu'irriter Villèle, et plus encore Louis XVIII qui signa une ordonnance le destituant du ministère. Sincèrement attaché à la liberté d'expression et au régime parlementaire, le célèbre écrivain était néanmoins le seul susceptible de rallier les jeunes générations à la monarchie. En se tournant contre lui, Villèle préparait sa chute et celle de la monarchie24.  

  Falloux prit soin d'indiquer dans ses Mémoires qu'il s’était rangé du côté de Chateaubriand, reprochant à Villèle de ne pas faire assez de place à l'imagination du pays et de faire preuve d'une certaine «langueur» en matière de travaux publics. Falloux se dit alors frappé par le triste aspect de Paris, «La place Louis XV restait un vaste cloaque, les Champs Elysées, une promenade désuète; la place du Carrousel d'où l'on apercevait à peine une ou deux fenêtres du Louvre était obstruée de petites rues, de baraques, de misérables maisons absolument comme au temps de Marie-Antoinette»25. Mais, plusieurs années plus tard, dans une lettre à Montalembert, Falloux se montrera nettement moins compréhensif à l'égard de Chateaubriand, lui reprochant notamment d'être passé de l'extrême droite et du ministère de Villèle à la coalition avec Lafayette et Benjamin Constant26. Tout en le préférant à Villèle, Falloux jugeait trop virulente et trop brutale sa conversion ultramontaine27.

  En novembre 1827, les élections avaient été largement défavorables à Villèle, les libéraux obtenant 250 des 450 sièges. Contraint de changer de gouvernement, Charles X, qui avait succédé à Louis XVIII, mort le 16 septembre 1824, fit appel au libéral Martignac. En dépit de certaines mesures (restauration de la liberté de la presse, interdiction aux Jésuites d'ouvrir de nouveaux établissements d'enseignement), le nouveau gouvernement n'était guère parvenu à séduire la gauche libérale, tout en mécontentant le roi. Le 8 août 1829, Martignac fut remplacé par le prince de Polignac.  Toute la presse libérale, Le Globe de Rémusat, Le Constitutionnel d’Adolphe Thiers et Le National, entra rapidement en campagne contre le nouveau ministère. Ami personnel du roi, Polignac était, aux yeux des libéraux, un dévot et un inconditionnel du drapeau blanc.

 Dans un premier temps, Falloux sera d'un avis différent. Ambassadeur à Londres sous le gouvernement de son prédécesseur, Polignac vouait une certaine admiration pour l'Angleterre28, ce qui n'était pas sans plaire à Falloux: «Le prince de Polignac arrivait au pouvoir avec des idées très anglaises; il ne se croyait pas du tout un absolutiste et ne voulait pas l'être. Son rêve était de fonder une aristocratie parlementaire et de relever l'influence de la pairie au regard de la chambre des députés»29.

   Tout en menant une vie mondaine, Falloux se destinait alors à la carrière de diplomate pour laquelle il se sentait du goût. Inscrit à l'Ecole de droit de Paris située place Sainte-Geneviève, il s'exerçait également aux langues étrangères, l'anglais, l'allemand et l'italien30. Sa grand-mère maternelle ayant été très liée avec la mère de Polignac, il pouvait sérieusement espérer entrer dans la diplomatie et s'y préparait. Fondateur de l'Ecole de Jeunes Aspirants-Diplomates (qui préfigurait L'Ecole libre de Sciences Politiques), Polignac avait en effet promis au jeune Alfred de l'y admettre dans la première promotion. Bien disposé à l'égard de Polignac, Falloux va très vite déchanter: «Son début à la tribune fut d'une affligeante médiocrité. Il fut absolument déconcerté par une opposition dont il n'avait prévu ni l'étendue ni l'intensité. Il se replia dés lors dans le mysticisme...»31. Il partageait ainsi la déception qu'avait suscité, dans le public, le nouveau ministère. Mais, alors que les effrayés et les impatients commençaient à se calmer et que le pays retournait aux affaires, au printemps 1830, il quitta Paris pour rejoindre son père, en cure aux bains d'Aix, en Savoie, pour y soigner sa goutte.

 Il y fit la rencontre de Lamartine, «moitié baigneur, moitié touriste», écrit-il dans ses Mémoires. Pour aller visiter l'abbaye de Haute-Combe, sépulture du prince de Savoie, Falloux et son père traversèrent le lac du Bourget en compagnie du poète. Au cours de leur promenade, ils ne purent s'empêcher de solliciter des vers de sa part mais en vain; ils furent gracieusement mais fermement éconduit.  Comme nombre d'écrivains romantiques de sa génération, tels que V. Hugo ou A. de Vigny,  Lamartine était alors royaliste. Falloux dira plus tard ne pas avoir été entièrement conquis par le romantisme. Conservant de profondes affinités pour le classicisme, il refusait de choisir entre les deux courants littéraires «Je portais trop sincèrement le deuil de Talma pour entrer de plein pied dans le camp du monarchisme32. Trop imprégné des classiques pour «se complaire immédiatement et sans réserve à la langue et aux allures d'Hernani»33, Falloux parvint, dira-t-il, à convaincre ses amis qu'il n'y avait rien de nouveau chez V. Hugo, « que ses principales données étaient empruntées au vieux répertoire »34.

La Révolution de 1830

  Falloux était encore en Savoie lorsqu'il apprit « la douloureuse nouvelle » de la révolution de Juillet. En dépit de la gravité de la situation, il demeurait optimiste: « Nous nous enhardîmes d'heure en heure à mesure que la défense faiblissait, mais attendant toujours quelque retour offensif, et pour la plupart nous y résignant....A Rambouillet, il était encore temps de sauver la monarchie si le monarque lui-même l'eut tenté. En voyant partir les hordes confuses lancées à la poursuite du roi, nous étions convaincus qu'elles seraient ramenées à Paris l'épée dans les reins...Nous avons fait la révolution de Juillet parce qu'on nous l'a laissé faire. »35

 Bien qu'il jugeait avec sévérité les hommes et les armes que Charles X avait choisi pour se battre, l'abdication du roi lui semblait une expiation suffisante. Il imputait la chute du régime à l'ensemble de la classe politique: « la droite en s'effarouchant trop de la liberté, la gauche en contenant mal ses impatiences et en refusant d'assurer au prix d'un peu de patience le triomphe durable du gouvernement représentatif »36 ont préparé les journées de juillet.              

  Falloux prétend qu'il entrevit alors « la possibilité d'une prompte réaction » et qu'il supplia son père de le laisser regagner l'Anjou pour se joindre aux populations de l'Ouest qui, il en avait l’intime conviction, ne tarderaient pas à s’insurger pour venger leur roi. E. Veuillot met une fois de plus en doute cette version considérant qu'il s'agit là de sa part d'une « vanterie rétrospective » et qu'en réalité il n'aurait jamais eu l'intention réelle de s'enrôler dans une guerre contre le régime de Louis-Philippe37. Quoi qu'il en soit, Falloux précise que son père le ramena très vite aux réalités: une insurrection était fort improbable.

  De retour dans la capitale, il se mit néanmoins très vite en rapport avec « les hommes qui nourrissaient encore l'espoir d'une revanche royaliste. » Très aimé et très écouté dans tous les départements de l'Ouest, le marquis de Coislin lui aurait promis de l'avertir de la moindre tentative de soulèvement. En définitive, les royalistes de l'ouest, dans leur immense majorité, jugèrent que les circonstances étaient peu favorables pour tenter un soulèvement auquel Charles X avait par ailleurs renoncé. Le 4 août, lors d'une réunion chez M. de Civrac à Beaupréau (Maine-et-Loire), seuls sept des 250 chefs vendéens présents, groupés autour de La Rochejacquelein, se prononcèrent pour la guerre civile38.   

  En Anjou, une certaine effervescence s'était malgré tout produite, comme en témoigne un rapport du procureur général d'Angers au ministre de la Justice: « Dans ma lettre du 16 septembre, je vous indiquais que sur plusieurs points de ma circonscription des troubles inquiétants s'étaient manifestés, des attroupements s'étaient formés, des violences avaient été exercés pour s'opposer à la libre circulation des grains. Les mesures que j'avais prises avaient obtenu un plein succès. Le calme paraissait rétabli. Mais le calme n'était qu'apparent. Les prêtres et les nobles continuent d'entretenir l'espoir du retour de Charles X. De jeunes prêtres laissent croître leur barbe, en répandant le bruit que bientôt il n'y aura plus d'églises et que les prêtres doivent se préparer au combat. Plus de roi, plus de prêtres, répètent-ils. Ils engagent les paysans à prendre les armes pour rétablir la famille déchue. Les poursuites judiciaires sont sans résultat. La crainte du retour des Bourbons et des vengeances qu'ils traîneraient à leur suite est telle que les témoins n'osent déposer; la gendarmerie elle-même, beaucoup trop faible en nombre, montre une extrême pusillanimité, pour ne pas dire plus »39. Par mesure préventive, le procureur avait proposé d'occuper militairement plusieurs villes de sa circonscription, notamment Beaupréau et Cholet, en Maine-et-Loire, et Châtillon dans les Deux-Sèvres.

  Dans le Segréen, les fidèles du régime déchu n’étaient pas restés inactifs. Le nouveau sous-préfet de Segré, M. Chollet, avait vivement dénoncé les agissements de la noblesse locale, l’accusant d'inciter les habitants à ne pas rendre leurs armes. Le sous-préfet avait tout particulièrement mis en cause plusieurs voisins de Falloux, M. de Dieusie à Sainte-Gemmes d'Andigné, M. Prosper de Candé à Noyant-la-Gravoyère et MM. d'Armaillé et d'Arthuys au Bourg d'Iré40. Si les observateurs reconnaissaient que l'arrondissement de Segré n'était pas encore dans une situation aussi alarmante que celui de Beaupréau fief de l’insurrection de 1793, certains faisaient cependant remarquer qu'il y avait déjà un grand nombre de conscrits retardataires et que plusieurs d'entre eux se déplaçaient en armes.  « Tout annonce, écrivait le député maire  du Louroux-Béconnais, que nous marchons progressivement vers un état complet d'anarchie et de désorganisation »41.  

  En dépit des efforts de quelques nobles pour entretenir le mécontentement et de certaines escarmouches signalées ici ou là, l'heure n'était pas à la contre-révolution. Le contexte militaire et religieux était bien différent de celui de 1793. Prévoyant l'affrontement, Louis-Philippe avait pris des mesures: des renforts de troupes avaient été acheminés dans plusieurs départements de l'Ouest. Par ailleurs, la religion n'étant pas menacée, rares étaient les paysans prêts à s'engager dans une lutte ouverte contre le régime.

Notes

1Falloux, Mémoires d'un royaliste, p. 2
2Falloux, Mémoires d'un royaliste, p. 17
3Selon certaines sources, ce n'est qu'en 1805 qu'il rentre en Anjou; voir sa Notice nécrologique, Ln27 7359.
4Fille du marquis François-Louis de Fitte de Soucy et de la marquise, née Renée de Mackau.
5Nommé Maréchal de camp à l'Armée des Côtes de Cherbourg où le duc de La Rochefoucauld avait voulu préparer une retraite à Louis XVI, il avait été dénoncé. Arrêté, puis emprisonné à Coutances, il mit fin à ses jours le 31 juillet 1793.
6Cette filiation, qui le rattache à la noblesse de cour, explique sans doute la légende tenace qui a longtemps fait de Falloux un descendant de Louis XVI.
7A. de Falloux, Mémoires, p.
8Falloux, Mémoires, p.
9Sur ce sujet voir notre article des Annales, notre thèse et le livre de Jean-Clément Martin, La Vendée et la France, Paris, 1987.
10Falloux, Mémoires d'un royaliste, pp. 4-5
11A. Siegfried, Le régime et la division de la propriété dans le Maine et l'Anjou, Le Musée social, 1911, p. 197-215
12Falloux, Mémoires d'un royaliste, p.
13Falloux, Mémoires d'un royaliste, p.
14Voir le livre de Anne Martin-Fugier, La vie élégante ou la formation du Tout-Paris, 1815-1848, Paris, Le Seuil, 1993, 446 p.
15Une lettre du 30 avril 1830 au Garde des Sceaux donne un détail précis des biens fonciers et immobiliers qui forment la fortune des Falloux.  Arch. nat. BB30 1019.
16Frédéric ayant opté pour une carrière ecclésiastique, c'est en définitive Alfred qui héritera de ce titre. Guillaume de Falloux était semble-t-il admis depuis plusieurs années à la cour du roi avec ce titre de comte. Voir BB30 1019.
17La fortune du légataire, qui habitait un vieux manoir angevin de triste apparence  était en majeure partie composée de biens fonciers, La Meignannerie (à La Meignanne et St Clément de la Place) qui sera l'objet de la constitution du majorat ; La Lucière et Précor (à Vern d'Anjou); Ecorce (à Etriché); Le Petit Epinay (à Mûrs); et enfin La Crossonnière (à Mozé sur Louet). La Meignannerie proprement dite comprenait de nombreux biens: 1) 13 ha dans un domaine et une métairie; 2) le domaine de la Gauchetterie avec une métairie, et deux closeries 3) et neuf autres métairies. Soit au total plus de 340 hectares rapportant 10.500 f. de revenu annuel.
18Falloux, Mémoires d'un royaliste, p.
19Lettre de Mme Falloux à Annette Mackau, Paris, 22 juin 1827, A. N. , A.P 156 (I)/11.
20Curieusement Falloux ne mentionne jamais le nom de Morny, le demi-frère de Louis-Napoléon Bonaparte, qui  fréquentait pourtant lui aussi ce collège à la même époque.
21Journal du maréchal de Castellane, 1804-1862, Paris, Plon, 1895-1897, 5 vol.,  24 juillet 1828.
22Charles Brifaut (1781/1857), auteur de tragédies et professeur au conservatoire. Journaliste royaliste libéral, rédacteur à la Gazette de France.
23E. Veuillot, Les Mémoires de Falloux, p.
24Voir Bertier de Sauvigny, Au soir de la Monarchie, Flammarion 1955, rééd. 1977; p. 193/194.
25Falloux, Mémoires d'un royaliste, p.
26Lettre de Falloux à Montalembert, 15 janvier 1866, voir  José Cabanis, Montalembert. Corespondance inédite, 1989.
27Lettre de Falloux à Montalembert, 22 janvier 1866, José Cabanis, op. cit.
28C'est le point de vue de Thiers, voir Guiral, Thiers,  p. 54
29Falloux, Mémoires d'un royaliste, p.
30Dans le long article qu'il lui a consacré, R. Rancœur souligne que Falloux ne continuera pas ses études au-delà du baccalauréat, Falloux de 1835 à 1848,  Coll. Les catholiques libéraux au XIXe s., PUG, 1974, p. 307-336. La révolution de Juillet est vraisemblablement venue interrompre des études de droit que Falloux dit avoir commencé, semble-t-il en 1829-1830.   
31Ibid.
32Ibid.
33Ibid.
34Ibid. t. 2, p. 269.
35Falloux, Mémoires d'un royaliste, t. 2, p. 269
36Falloux, Mémoires d'un royaliste, p.
37E. Veuillot, Les Mémoires de Falloux.
38J.R. Rolle, La chouannerie de 1832 dans les Deux-Sévres et la Vendée orientale, 1948, cité par De Changy, Le soulèvement de la duchesse de Berry,  Les royalistes dans la tourmente, 1830-1832, Paris, 1986, note 20, p. 20.
39Rapport du 5 octobre 1830, cité par le chanoine Uzureau, Andegevania, t. 25.
40La noblesse de Grugé, Challain et Combrée était également mise en cause. Lettres du sous-préfet au préfet du 7 septembre et du 23 décembre 1830, La Police secrète en Maine-et-Loire, Anjou historique, 1918, p. 162-173.
41Anjou historique, Ibid.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «La Restauration», correspondance-falloux [En ligne], BIOGRAPHIE d'ALFRED DE FALLOUX, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, De Charles X à Louis-Philippe,mis à jour le : 09/05/2013