1873 |
6 octobre 1873
Alfred de Falloux à Charles de Lacombe
6 octobre 1873,
Mon cher ami
Les nouvelles présentes ne sont pas aisées à résumer, et plus on les voit de près, plus on est frappé de leur enchevêtrement. Une des meilleures formules, selon moi, se trouve dans ce lettre de M. Édouard Hervé, que je reçois à l'instant même : « le comte de Chambord n'est pas encore décidé à céder, mais déjà il n'est plus décidé à résister. » Cela est très évident, mais aussi très dangereux. Tout le temps qu'il perd sans se prononcer fait naître la méfiance chez ceux qui n'en avaient pas, ou la fortifie chez ceux qui l'avaient déjà. Quant à la réunion de samedi, les journaux vous ont dit qu'elle n'avait rien produit de décisif, mais une commission qui se réunit aujourd'hui même, pour discuter les termes écrits de l'accord qui devient nécessairement un ultimatum1 ; car M. Thiers ayant déclaré la guerre et M. Say2 ayant convoqué le centre-gauche pour le 23, il faut absolument que le centre-droit et son terrain tout tracé avant ce jour-là, et il ne peut plus être question d'attendre jusqu'au 5 novembre, but évident des manœuvres de l'extrême droite. Voilà les nouvelles d'aujourd'hui ; comme celles de demain seront beaucoup plus graves et que j'en serais proprement informé avant l'heure de la poste, je suspends ma lettre jusqu'à demain. Je ne la fermerai que quand j'aurai épuisé mes dernières informations. Je partirai ensuite pour Rochecotte, ou mon frère3 vient me dire un dernier adieu avant de regagner Rome, puis pour le Bourg d'Iré, d'où je ne bougerai plus afin de demeurer tout entier au travail sur M. Cochin4.
Mardi - la réunion d'hier s'est prolongée jusqu'à huit heures et demie du soir, en se prorogeant à ce matin neuf heures. À 8, un des membres considérables de la réunion est venu me dire que les résolutions étaient prises, que la rédaction était arrêtée et que la besogne de ce matin consisterait en un court mémoire qui sera aussitôt porté à Frohsdorf5. Ce mémoire exposera qu'on ne peut plus changer les résolutions de rédaction dans les conditions essentielles, qu'on ne peut plus recevoir qu'une acceptation ou un refus, d'ici aux 18, date de la réunion générale de toutes les fractions de la majorité. Veuillez garder le secret absolu sur tout cela, cher ami, car vous concevrez qu'on envenimerait tout, si les journaux s'emparaient de ce qu'il nommeraient un ultimatum.
En cas de refus, puisqu'on est condamné à le considérer comme possible, divers avis s'agitèrent, mais on est très résolu à ne pas les aborder avant ce refus même, pour ne pas encourir d'injurieux soupçons. Pour moi, je n'ai plus rien à faire ici, puisque j'ai épuisé tous les efforts qui pourraient dépendre de moi près des orléanistes pour les rendre plus patients, et près de nos amis pour les rendre plus raisonnables. Quant à vous tous, messieurs de l'assemblée, je crois que vous remplirez un grand devoir en arrivant avant la date officielle, car il est impossible de ne pas présenter dés le premier jour avec des plans très nets et tout prêts à être déposés à la tribune en face de M. Thiers, dont le travail est une activité prestigieuse depuis son retour à Paris.
Mille vœux.
1.