1873 |
8 septembre 1873
Alfred de Falloux à Jules de Bertou
Cher ami,
La visite de Lavedan s'est brusquement terminée par une dépêche télégraphique l'appelant à présider aux obsèques du pauvre Laurencière déjà frappé de paralysie cet hiver à Versailles. Ce qu'il m'a appris consiste beaucoup plus en négation qu'en nouvelle, et en inquiétude qu'en espérance ; cependant personne ne veut se décourager, personne ne recule, et comme l'on sent qu'un échec serait un nouveau désastre, on est bien résolu à faire les derniers efforts pour le conjurer. Je ne crois donc pas que le côté plus ou moins fusionniste ait eu part à la nomination de M. d'Harcourt1. L'Autriche est trop près de la Prusse pour laisser traiter cette question par voie diplomatique. Du reste, j'ai connu M. D'Harcourt très fusionniste. Ses enfants le sont, sa femme est personnellement liée avec les princes d'Orléans, et ne s'inscrit probablement pas contre leurs actes. Madame de Sainte-Aulaire2 aurait pu me dire à moi-même dans les occasions qui justifient, selon moi, l'indignation, ce qu'elle a dit à son gendre et ce qu'elle vous a répété. Cependant je prie tout Rochecotte de croire que, si j'étais ambassadeur à Vienne, je subordonnerai toutes mes colères à l'intérêt public, et je me ferai le premier ouvrier de la monarchie, si cela m'était possible.
M. Farge avait été appelé, pour une grossesse difficile, chez Mme de L'Esperonnière3, près de Candé4. Fortuné d'Andigné va un peu mieux et sa constitution vigoureuse lutte encore contre une hydropisie manifeste. Vous avez dû recevoir les remerciements de Paul de Candé5 ; sa mère est toujours admirable, et Claire6 a montré un dévouement qui ne s'est pas un instant démenti. Les Pontbriand7 sont à Luxeuil et l'on a pris des mesures pour leur épargner un retour précipité.
Votre lettre est arrivée assez à temps pour que j'aie pu lire à Lavedan le passage qui le concernait ; il y a été fort sensible et adresse à Madame de Castellane des remerciements aussi sincères que ces regrets. Nous n'avons pas plus que vous de nouvelles de mon frère. Je n'en ai pas non plus de l'arrivée de M. Jullien et de Pierre Cochin8, dont on m'avait annoncé l'arrivée pour cette date-ci.
En temps de vacances, je ne lis jamais l'Officiel et sans votre charité je ne me serais pas douté qu'Albert9 y figurait aussi habilement ; ne négligez donc pas de m'avertir en cas pareil, et en retour, je vous avertis qu'il faut lire, en outre des pèlerinages, dans les Univers que j'ai pu retrouver et que je vous envoie, tous les Veuillot ; on n'a jamais fait avec autant d'esprit son abominable métier, notamment dans sa réponse à l'Union de l'Ouest, numéro de dimanche. Cela arrivera bien pour Amédée. Votre fusil ne manquera pas d'armer Annette durant sa route.
La pauvre Marie est toujours dans le même état, et Monsieur Farge exhorte à la patience, comme M. Letord10, affirmant toujours que cet état est purement nerveux ; l'estomac est bien remis, le visage n'est pas mauvais, et la nuit à un peu plus de sommeil, mais le jour reste incapable de supporter tout mouvement et tout bruit.
Au revoir, au revoir, cependant cher Rochecotte dés que ma visite ne sera pas trop criminelle.
Alfred.
