1873 |
19 septembre 1873
Alfred de Falloux à Jules de Bertou
Bourg d'Iré, 19 septembre 1873
Cher ami
Mon frère1 nous est arrivé mercredi à très bon port, et tout pénétrés du charme incomparable de tout Rochecotte. Nous avons pris nous-mêmes tant de plaisir à l'entendre que la soirée s'est prolongée et je l'ai payé hier par une crise qui m'a tenu à tâtons jusque bien après le départ du courrier. Aujourd'hui je me dédommage en réparant un peu d'arriéré. Je dois d'abord vous donner acte d'une lettre de Mme Cochin2, encore à Aix, et qui vous demande de prendre pour nous, vers qui elle se sent fort en retard, la moitié de sa lettre pour moi. Sa santé a été fort ébranlée par la perte de sa sœur, et son peu de forces absorbé par un redoublement d'efforts pour la remplacer auprès de sa mère. M. Jullien et Pierre3 devaient m'arriver demain ; elle me fait pressentir que M. Jullien viendra seul, le proviseur de son futur collège répugnant à le prendre après la rentrée. Je n'ai rien à ajouter sur votre excellent travail municipal et aux fautes d'impression que je vous ai signalées ; mais j'ai à vous remercier de deux numéros de l'Union. Je n'ai pas du tout trouvé que le second corrigeât le premier, comme vous sembliez l'indiquer. Si j'avais l'honneur d'être le marquis de Juigné4, je serais peu flatté des compliments qui me sont décernés aux dépens de mes collègues et surtout aux dépens de l'évidence, car son charmant discours était volontairement très prudent et allait beaucoup moins loin que MM. de Maillé5 et de Rességuier6. Quant à moi, qui ne parlais pas comme député, mais comme président de comice, je n'avais pas les coudées aussi franches, et j'avais en plus Fitz-James7, qui voulait absolument prononcer le nom du roi, que j'avais prié de n'en rien faire, et qui ne me l'avait accordé qu'à regret. Il ne voulait en outre ne parler qu'après moi, pour prendre le temps de la réflexion, à la suite de mes observations ; il n'avait donc point encore reconquis l'auditoire, et j'avais, à deux pas de moi, un rédacteur du Patriote8 que je pouvais supposer n'être pas seul et guetter l'occasion d'une scène. En tout cas, je ne pensais pas qu'on pût m'accuser de caresser le provisoire et ce même Patriote, qui m'a consacré trois numéros, m'adresse des reproches tout contraires. Il en a découvert un entre autres, qui est assez original, celui d'avoir fait du Père Dehan une apologie en faveur du comte de Chambord, et trouvé par là le moyen d'accoutumer la France à l'idée de couronner un boîteux9. Je vous quitte maintenant, cher cher ami, pour aller à la messe de Monseigneur et prier pour vous tous de tout cœur.
Alfred.
Le marquis de Coislin10 est mort il y a huit ou 10 jours.
