CECI n'est pas EXECUTE 26 octobre 1855

Année 1855 |

26 octobre 1855

Albert de Rességuier à Francisque de Corcelle

Bourg d'Iré, 26 octobre 1855

Cher et excellent ami,

Je continue à ménager à vos dépens et à mon profit la tête et les yeux de mon hôte et je vous rendrai compte, à sa place et de sa part, de la visite que vient de lui faire M. S[auzet]. Pendant les quatre jours qu'elle a durée, il a été question de la fusion et de Rome, du Correspondant et de L'Univers, de omni re scibili et quibusdam aliis1 et sur tous ces points le visiteur a laissé ici les impressions les plus favorables. Notre ami2 lui a donné lecture des passages de votre lettre qui étaient à son adresse et il l'a trouvé, à votre égard, dans les dispositions les plus cordiales et les meilleures, sous la réserve d'explications ultérieures qu'il a déjà données à Alfred et que celui-ci vous répétera de vive voix. Quant à L'Univers, il pense absolument comme vous et sur le fond et sur la forme. Il est, sur ce chapitre, on ne peut pas plus précis et animé. Voici du reste le résumé de la confidence que j'adresse à M. de Montalembert, en même temps qu'à vous.

Mgr de F[alloux] n'a pas répondu à la lettre dans laquelle son frère proposait l'insertion dans le Journal de Rome. Cela vient peut-être, de ce qu'il est souffrant ; mais cela vient peut-être aussi de ce qu'on a moins envie que jamais de répondre et d'agir. Il est à remarquer que la première ouverture qui fut faite à Rome, au mois de juillet dernier, coïncidait avec la plus grande détresse de notre armée en Orient3. Nos succès et le désaveu de la lettre de L. Murat4 font sans doute qu'on est beaucoup moins pressé et beaucoup moins libre. Alfred ne s'était pas dissimulé l'inconvénient qu'il y avait à proposer un moyen direct et à le proposer à lui seul ; mais répondre quand on l'interrogeait. D'ailleurs en indiquant le moyen du désaveu par la presse, il ajoutait qu'il y en avait bien d'autres qu'on pouvait prendre si celui-là ne plaisait pas. Passant en revue avec M. S[auzet]. ces différents moyens, ils sont tombés d'accord que celui-là était le meilleur et celui sur lequel il faudrait insister si on vous en donnait encore l'occasion. Des remontrances et des ordres, même très précis, transmis par la nonciature n'atteindraient pas le but, n'éclairerait pas les consciences, et L'Univers se modéra-t-il, le public n'étant pas prévenu, ne prendrait pas suffisamment garde à une transformation dont il ignorerait les motifs. Une lettre aux évêques aurait l'inconvénient de remettre l'épiscopat en scène et de renouveler sous une autre forme les divisions et le triste spectacle d'il y a trois ans. Mais, si la publication par le Journal officiel est le meilleur moyen et celui qui atteint le mieux le but, c'est aussi celui dont la réalisation paraît la plus difficile par la crainte qu'on a certainement de se mettre en collision avec le gouvernement français. M. S[auzet]. est persuadé qu'à Rome, on est à peu près édifié avec les inconvénients et les périls de L'Univers et que ce qui arrête, c'est le côté politique. Il reste, en effet, toujours dans l'esprit du Pape que les remontrances étant demandées par des hommes séparés du gouvernement, ce qui les blesse le plus dans L'Univers, c'est l'appui qu'il lui donne. Il croit donc que si un homme notoirement bien avec l'Empire faisait entendre le même langage que vous, les obstacles seraient facilement levés. Si l'on a paru dans cette circonstance s'adresser de préférence au frère du prélat romain, c'est qu'on voit toujours en lui un ancien ministre de L[ouis] N[apoléon] [Bonaparte]. qui n'a marqué depuis par aucune hostilité directe [?]. Il est vrai qu'après avoir bien cherché un napoléonien assez fervent catholique pour prendre à cœur une telle affaire, les deux interlocuteurs, dont je suis le secrétaire, ont reconnu qu'il leur était impossible de le trouver. Serez-vous plus habile  qu'eux ? Dans le cas contraire, ils sont d'avis que vous ne devez point vous laisser arrêter par cette difficulté, mais vous en pénétrer profondément afin de prévoir et de lever l'objection autant que possible dans vos démarches ultérieures.

En définitive, il n'a été rédigé ici aucune note ni projet de note collective ; il a été décidé, au contraire, qu'on attendrait vos nouvelles observations sur ces différents points de vue, que cela donnerait à la réponse de Mgr de F[alloux] le temps d'arriver et que vous verriez alors dans quel sens et par quelle voie vous devez continuer à marcher. Pendant ce temps, M. S[auzet] arrivera à Rome ; il part le 12 novembre et ne s'arrêtera que très peu de jours à Gênes pour y voir Marie Amélie5. Il ne prendra aucune initiative pour ne pas faire bis in idem ; mais, il se tiendra prêt à répondre au premier appel soit du cardinal soit du St Père et à vous appuyer très fortement. Jusqu'à présent, c'est seulement sur des matières politiques et légales qu'il a été honoré d'entretiens confidentiels, il fait d'ailleurs observer que son passé qui n'est pas celui d'un vieux défenseur de la liberté d'enseignement ne lui donne pas le droit de parler le premier sur des questions religieuses proprement dites mais, il vous laisse toute latitude pour faire en sorte qu'il soit interpellé, tout en donnant le Conseil de ne pas faire de lui un simple porteur de vos paroles ; mais de le laisser auxiliaire du dehors prêtant son plus ferme appui à l'armée du dedans.

Je crois avoir été un rapporteur fidèle ; je suis sûr de l'être en vous envoyant les plus affectueux souvenirs du châtelain et de la châtelaine. J'y joins pour mon propre compte l'assurance du plus cordial et du plus entier dévouement.

A. de Rességuier.

   

Notes

1« De toutes les choses qu'on peut savoir, et de quelques autres ».
2Alfred de Falloux.
3La France est alors en guerre contre la Russie, en Crimée.
4Lucien Murat (1803-1878), prince de Naples et prince de Pontecorvo. Le prince venait d'écrire une lettre dans laquelle il déclarait vouloir se porter candidat au trône de Naples pour sauver l'unité et l'indépendance et la liberté de l'Italie.  
5Marie-Amélie Thérèse de Bourbon (1782-1866), princesse de Naples et de Sicile, veuve de Louis-Philippe.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «26 octobre 1855», correspondance-falloux [En ligne], Année 1852-1870, Second Empire, Année 1855, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 16/09/2013