CECI n'est pas EXECUTE 15 août 1851

Année 1851 |

15 août 1851

Pierre-Antoine Berryer à Gaston de Lévis

Vendredi soir 15 août [1851]

Monsieur le duc, voici une nouvelle et affligeante complication, je crains fort qu'elle n'est de graves conséquences. Dans la position accréditée de Monsieur de Saint-Priest, comment n'a-t-on pas compris que l'approbation qu'il donne aujourd'hui au journal qui a combattu presque toutes les résolutions importantes adoptées par l'immense majorité des membres de la réunion de la rue de Rivoli, et pour cette majorité une offense qui sera profondément et péniblement ressentie. Que parle-t-on du désir, de l'union et des sentiments du prince à cet égard, quand on encourage ainsi ceux qui, en si petit nombre, ont fait, sur toutes les questions une opposition systématique à 140 de leurs collègues.

Croyez-moi, Monsieur le duc, c'est là le fond des choses. Que la publicité de la lettre de MM. de Chaulieu et de Rességuier1 ait été imprudente ou intempestive, ce n'est plus là la question (vous savez d'ailleurs par la faute de qui a eu lieu cette publicité que M. de Chaulieu2 soumettait à la décision de la réunion). Mais au fond jamais plainte ne fut plus juste et plus motivé que la leur. Quoi ! L'on imprime sérieusement que le journal de l'Opinion publique a été injustement attaqué !

On donne officiellement or à la majorité de nos amis, les dissidences sont approuvées. N'est-ce pas consacrer deux directions, deux tendances, deux politique, ou plutôt n'est-ce pas s'imposer à l'accusation d'avoir une politique double. Les hommes qui se respectent, parce qu'ils respectent la cause qu'ils défendent et le pays qu'ils servent, ne peuvent accepter cette position équivoque.

Que la liberté de tous soit respectée, rien de mieux, mais il ne faut pas applaudir de conduite opposées, et c'est peu se conformer aux instructions reçues, que d'accorder surtout sa faveur et son appui à une minorité de 15 ou 20 personnes sur une réunion de 150 à 160.

Quand on a vu les adhésions du National et du Messager à la politique de l'Opinion publique, on était, ce semble, assez averti que la conduite prônée par ce journal n'était pas la plus favorable à la cause de la royauté légitime. Je n'ai rien négligé pour calmer les vives irritations de notre majorité en mainte occasion, je me suis épuisé à supporter des procédés qui étaient intolérables. Nous voici au bout d'un an, et par les mêmes personnes, ramenés aux justes mécontentements qu'avait soulevés la circulaire. La majorité et le pays tout entier ont fait un autre accueil à la politique de la lettre de Venise. N'en doutez pas, ces deux actes et ceux qui y ont adhéré seront mis en opposition devant la France. Au retour de l'assemblée la discussion mettra inévitablement au grand jour le vrai fond de ces querelles.

Je comprends qu'il ne convient pas de faire intervenir une autorité supérieure dans ces débats,mais vous comprendrez aussi qu'il apporte aux parties de régler sa situation intérieure, et que l'honneur, la bonne foi, l'intérêt de la cause royale, ne permettent pas aux légitimistes et de se faire accuser à la veille de grandes crises, de n'avoir qu'une marche incertaine, au contradictoire, ou peu sincère.

Je désire que le mal ne s'aggrave pas avant le jour où tous les membres de la conférence pourront être réunis. Il sera nécessaire alors de discuter et de trancher ces tristes et importantes questions. Jusque-là, je m'abstiendrai de voir mes amis offensés et affligés, je ne reviendrai à Paris qu'après la cession des conseils généraux;la conférence pourra être alors réunie ; vous me trouverez toujours désireux de vous seconder et de rétablir l'union que la lettre d'aujourd'hui rompt complètement. Quelques paroles et peu d'efforts auraient prévenu ses dissidences. La grande majorité des membres de la réunion de Rivoli, voit très clairement l'action cachée, mais persévérante qui entretient les divisions ; elle veut se montrer au pays a découvert et éloigner d'elle tout soupçon d'arrière-pensée ; c'est son devoir, l'honneur l'oblige à le remplir.

En attendant que j'ai l'honneur de vous revoir, croyez Monsieur le duc, à mon sincère et très cordial attachement.

Votre tout dévoué serviteur.

Notes

1Partisans du projet fusionniste, ces deux députés légitimistes avaient déclaré publiquement qu'ils désavouaient complètement les tendances et la rédaction de L'Opinion publique.
2Raoul Gabriel Jules Des Rotours, de Cheaulieu (1802-1876), avocat et homme politique. Candidat légitimiste, il fut élu du Calvados à l'Assemblée législative.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «15 août 1851», correspondance-falloux [En ligne], Seconde République, Années 1848-1851, Année 1851, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 08/10/2013