CECI n'est pas EXECUTE 5 octobre 1871

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5 octobre 1871

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

Caradeuc, 5 octobre 1871

Cher ami,

Voici la liste désirée par Mme de Castellane et qui suffisait bien, à elle seule, pour faire reculer, à supposer qu'elle eût été réalisable.

MM. Ernoul1, Baragnon2, de Maillé3, Beulé4, St Marc Girardin5, Audiffret-Pasquier6, Vitet7, duc de Broglie, Cochin, de Lacombe, de Cumont, de Meaux, de Lavergne8, Batbie9, Mis de Juigné10, Mis de Castellane, de Gontant11, de Rességuier, de Witt12, de Talhouët13, Buffet, Lucien Brun14, duc de Noailles.  Une ville m'avait paru, comme à vous, la seule combinaison praticable, et je l'ai indiquée dans ma première réponse, en commençant par désigner Orléans. Quant à la réunion de l'Evêque15 à Rochecotte, de M. de Juigné et de moi, je n'ai pas besoin de vous dire non plus combien j'en serais charmé. Seulement l’Évêque me parlant de venir au Bourg d'Iré et ayant souvent reçu mes reproches pour n'y être pas venu depuis plusieurs années, j'aurais mauvaise grâce à prendre une autre initiative. Madame de Castellane étant sensée ignorer la proposition de l’Évêque ne pourrait-elle pas  lui écrire, pour lui demander une visite à Rochecotte dans le mois de novembre, au retour d'Antoine [de Castellane] en lui offrant d'avertir M. de Juigné et moi, nous prendrions alors sa date pour celle de notre visite, qui aura lieu, en tout cas, bien entendu. Mais voici bien maintenant une autre affaire. Glorian [Didier]16 me presse très vivement pour l'édition de Mme Swetchine, qu'il déclare absolument épuisée ; après avoir mis en regard de tout ce qui me reste encore à faire pour ce travail les perpétuelles diversions du Bourg d'Iré, et les non moins perpétuelles défaillances de ma tête, j'ai pris un grand parti, celui d'aller m'établir à Angers pendant la correction des épreuves, ce qui ne déplaît point à ces dames au point de refuser de m'y suivre. Je vais donc faire chercher une maison qui puisse nous réunir tous et vous offrir aussi, cher ami, une hospitalité quelconque ; si vous n'en êtes pas, à votre tour, trop effrayé. Je ne suis plus abonné à la Revue des Deux Mondes depuis que j'ai renoncé à ce monde ; mais je n'en serai que plus avide de la lire à Rochecotte. Hélas ! Oui, le roi Charles X, tout peu politique qu'il fût, avait encore une ouverture d'esprit et une justesse de sens telle que, à plusieurs reprises, il avait parfaitement reconnu les conditions de salut et y était loyalement entré ! cela rend plus poignant encore ce que nous avons sous les yeux, parmi ses descendants, et peut-être M. Guizot (sans  vouloir le méconnaître) n'échappe-t-il pas à une certaine malice dans la justice qu'il rend. Toutefois, cela ne lui enlèverait pas tout son mérité et je serai heureux d'en jouir avec vous.

Nous faisons nos dispositions pour partir après-demain, aller passer quelque jours à La Magnanne17, puis, de là, au Bourg d'Iré. Je découvre à ma femme d'effrayantes dispositions pour être veuve, tant elle est bon homme d'affaires, ce qui va l'absorber encore complètement ces deux jours-ci. Mille tendresses.

Alfred

Notes

1Ernoul, Jean Edmond (1829-1899), avocat et homme politique. Élu de la Vienne à l'Assemblée nationale du 8 février 1871, légitimiste libéral inscrit au centre droit, il sera par la suite ministre de la Justice et des Cultes sous le premier gouvernement d'Albert de Broglie du 25 mai au 25 novembre 1873.
2Baragnon Pierre Joseph Louis Numa (1835-1892), avocat et homme politique français. Légitimiste, il fut élu député du Gard en 1871. Il entrera dans le deuxième gouvernement Albert de Broglie comme sous-secrétaire d'État à la vice-présidence du conseil et à l'Intérieur et fut nommé sous-secrétaire d'État à la Justice dans le gouvernement Ernest Courtot de Cissey.  Elu sénateur inamovible le 15 novembre 1878.
3Maillé, Armand Urbain Louis de La Jumellière de (1816-1903), député monarchiste de la circonscription de Cholet depuis 1871, il conservera son siège jusqu'en 1896, siégeant constamment avec l'Union des Droites.
4Beulé, Charles-Ernest (1826-1874), archéologue et homme politique. Élève de l’école française d’Athènes, il s’occupa des fouilles de l’Acropole. Il acquit une certaine célébrité après la publication de son ouvrage L’Acropole d’Athènes (1853). De retour en France, il succède à Raoul Rochette à la chaire d’archéologie de la Bibliothèque impériale, puis est élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1860) dont il devient secrétaire perpétuel en 1862. Il publie, dans la Revue des Deux Mondes, une critique très vive du décret impérial du 13 novembre 1863 qui dépouillait l'Académie des Beaux-Arts d'un certain nombre de prérogatives. Il attaque également devant le Conseil d’État le décret autorisant la cession  à l'Angleterre des statues des Plantagenêt  et le mouvement d'opinion qu'il provoque fait rapporter cette décision. Cette attitude lui vaut une mise à la retraite anticipée. En 1871, il est élu représentant du Maine-et-Loire et siège au centre droit orléaniste. Le 25 mai 1873, il entre au cabinet de Broglie au ministère de l'Intérieur. Ayant tenté de mettre la presse au pas, il est vivement attaqué par la gauche. Il fut sacrifié lors du remaniement ministériel de Broglie (25 novembre 1873). Il se suicida le 4 avril 1874.
5Marc Girardin, dit Saint-Marc Girardin (1801-1873), professeur, écrivain et homme politique. Député sous la monarchie de Juillet (1834) sous la Seconde république, en 1848, il avait été élu à l'Assemblée nationale du 8 février 1871. Conseiller d'état, il fut ministre de l'Instruction publique sous la monarchie de Juillet, de 1845 à 1848. Collaborateur de la Revue des deux mondes, il était membre de l'Académie française depuis 1844.
6Edme Armand Gaston, duc d'Audiffret-Pasquier (1823-1905), homme politique français. Auditeur du conseil d’État de 1845 à 1848. Membre du Conseil d'administration des mines d'Anzin. Il devient député de l'Orne en 1871. Inscrit au centre-droit, il contribua à la chute de Thiers. Favorable à la fusion et à la restauration d'une monarchie constitutionnelle, il se résigna, en raison de l'attitude intransigeant du comte de Chambord au vote de la loi du septennat et contribua à la chute du ministère Broglie. Partisan d'une conciliation avec le centre-gauche, il est élu à la présidence de l'Assemblée nationale le 15 mars 1875 et neuf mois plus tard il est élu sénateur inamovible. Il sera élu à l'Académie française le 24 décembre 1878 au fauteuil de Mgr Dupanloup.   
7Vitet, Louis Ludovic (1802-1873). Ancien élève de l’École Normale Supérieure, il collabora au Globe et publia divers ouvrages. Élu député de Bolbec (1834), il devint vice-président du Conseil d’État. Le 8 mai 1845, il entra à l’Académie française. Député à la Législative, il siégea avec la droite monarchiste. Il se retira dans la vie privée après le coup d’État. En 1871, il se fit élire à l’Assemblée Nationale. Il publia plusieurs ouvrages dont De l’état actuel du christianisme en France, en 1867.
8Lavergne, Louis Gabriel Léonce Ghuilaud de (1809-1880), économiste et homme de lettres français. Chef de cabinet de Charles Rémusat lorsque celui-ci fut ministre de l’Intérieur, puis maître des requêtes. Élu député en 1846, il rentra dans la vie privée après la Révolution de 1848 se consacrant à ses travaux d’économiste. Il donna de nombreux articles d’économie politique à la Revue des Deux Mondes.  Il publia Essai sur l’économie rurale de l’Angleterre, de l’Écosse et de l’Irlande (1854) et fut élu membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1855. Candidat malheureux aux élections de 1863, il sera élu (Creuse) à l’Assemblée nationale le 8 février 1871. Orléaniste, il se rallia, après le 16 mai 1874, à l’idée d’une République conservatrice. En 1875, il fonda le groupe parlementaire du Centre constitutionnel (centre gauche). Le 13 décembre 1875, il fut élu sénateur inamovible.
9Batbie, Anselme, Polycarpe (1828-1887), jurisconsulte, économiste et homme politique. Elu du Gers (centre droit) à l'Assemblée nationale, il sera élu au Sénat en 1876 par ce même département. Il deviendra ministre de l'Instruction, des Cultes et des Beaux-Arts dans le premier gouvernement d'Albert de Broglie du 25 mai au 26 novembre 1873.
10Juigné, Charles Gustave Leclerc de, comte de (1825-1900), homme politique français. Député de Loire-Inférieure de 1871 à 1898.  Légitimiste ardent, il se fit inscrire à la réunion des Réservoirs.
11Gontaut-Biron, Élie de, vicomte (1817-1890), diplomate et homme politique. Il avait effectivement été un habitué du salon de Mme Swetchine. S'occupant d’œuvres charitables sous l'Empire, il était entré en politique après le 4 septembre, se faisant élire en 1871 représentant des Pyrénées Orientales. Siégeant à droite, il se fit inscrire aux réunions Colbert et des Réservoirs. En janvier 1876, il sera élu au Sénat dont il sera membre jusqu'en 1883. Entre temps, il avait été nommé par Thiers ambassadeur à Berlin, poste qu'il occupa du 4 janvier à sa démission en décembre 1877. Rentré dans la vie privée en 1882, il publia quelques articles remarqués dans le Correspondant, notamment (25 octobre 1889) contre l'alliance des monarchistes et des boulangistes.
12Witt, Henri Cornélis de (1828-1889), homme politique. Collaborateur de la Revue des Deux Mondes, marié à la fille de M. Guizot, il fut élu député le 8 février 1871 et siégea au centre droit. Il entra au gouvernement comme sous-secrétaire d'État de juillet 1874 à mars 1875.
13Talhouët, Auguste, Elisabeth Joseph Bonamour de, marquis (1819-1884), homme politique. Député de la Sarthe à l'Assemblée législative de 1849, réélu par ce même département au Corps législatif de 1852 à 1870, il devint ministre des travaux publics dans le ministère Ollivier, il fut élu par la Sarthe à l'Assemblée nationale où il siégea à droite.
14Brun Henry Louis Lucien (1822-1898), avocat et homme politique. Collaborateur de La Décentralisation de Lyon et de La revue catholique des institutions et du droit, il y défendit une fidélité inconditionnelle au comte de Chambord et à l'ultramontanisme. Élu en 1871 dans l'Ain, il fut l'un des quatre députés que le comte de Chambord avait désigné pour être les interprètes de sa politique. Élu sénateur inamovible en 1877, Lucien Brun fut, en 1875, l'un des fondateurs de la faculté libre de droit de Lyon.
16Glorian Didier, éditeur des ouvrages de Falloux sur Mme Swetchine.
17Château de La Magnanne, situé sur la commune de Saint-Aubin d'Aubigny (Ille-et-Vilaine), propriété du comte Charles Hay des Nétumières.

Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 octobre 1871», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, 1871, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES,mis à jour le : 28/10/2013