CECI n'est pas EXECUTE Octobre 1849

Année 1849 |

Octobre 1849

Charles Merruau à Alfred de Falloux

Octobre 1849

Monsieur et cher ministre1,

Je vous voudrais bien à Paris ; mais votre santé nous est pécieuse et avant de revenir il faut qu'elle soit rétablie. Il me paraît que vos collègues s'inquiètent des bruits qu'on répand sur l'hostilité probable de la majorité envers eux ; je crains de leur part quelque coup dangereux. Ils me paraisssent disposés plutôt à s'irriter de l'opposition qu'ils rencontrent, qu'à céder aux vœux de la majorité et à faire ce qu'elle souhaite. Il est vrai qu'ils sont impuissants ; mais c'est un fâcheux espoir que celui qui repose sur l'impuissance du gouvernement.

J'ai fait un voyage à Dieppe2. J'ai trouvé M. Thiers méditant sur les finances ; écrivant l'histoire du consulat et de l'empire3 ; ne conspirant contre personne. Il croit aux bonnes dispositions de M. de Montalembert à son égard ; l'union persistante des hommes modérés est son prinical désir ; il critique sévérement le plan financier de M. Passy4 ; il n'a aucun goût pour renverser personne ; il se loue des relations qu'il a eues avec le président à Rouen5, comme ailleurs ; il attend le retour de la Chambre6, ou au moins les manifestations des conseils généraux, pour avoir un avis sur l'existence du cabinet. Je suis chargé, si je vous vois, de vous porter des témoignages d'amitié.

M. Molé à Champlatreux est plus pressé ; il gouverne une correspondance réactionnaire qui se publie dans les journaux du département et qui menace tous les jours l'existence du ministère. Mais comme il la gouverne de loin, la correspondance s'émancipe parfois et fait plus d'une maladresse. M. Molé voudrait être président du conseil dans deux mois, je le crois. Cependant il ne faut pas lui attribuer le bruit ridicule de la formation actuelle d'un cabinet de prétendants ministres7. Sa conversation y est pour quelque chose ; mais elle est mal traduite.

A Paris, les affaires étrangères sont le texte de toutes les conversations, quand il y a des conversations. On trouve bien longue la négociation avec le pape ; on dit que le pape est fou ; que le gouvernement français a envoyé une note comminatoire à Gaëte8; on voudrait que le pape se montrât plus libéral qu'il ne l'est ; mais on aimerait mieux sacrifier la liberté des romains que de voir se prolonger une négociation dangereuse qui peut nous jeter dans une impasse.

On s'occupe encore plus de la puissance croissante de la Russie et déjà l'on parle d'une vaste coalition européenne contre tous les gouvernements qui conservent un vestige de liberté. Cela me paraît une exagération. L'Europe est divisée par des intérêts, même aujourd'hui ; je ne crois pas que l'Autriche, jalouse du service qu'on vient de lui rendre,la Prusse inquiète pour ses possessions polonaises soient disposées à se livrer absolument aux Russes ; je ne crois pas que l'Angleterre, Whig ou Tory, soit charmées de voir le continent soulis à une influence unique. Nous pouvons donc jouer notre jeu et, si nous sommes au dedans bien modérés et bien réactionnaires, conserver notre part d'influence en Europe et balancer la Russie.

Mais pardonnez à mon bavardage. J'ignore les faits ; je ne vois personne et je disserte au hasard. Vous rirez de ma dissertation. Je me suis laissé aller à vous écrire parce qu'un de mes amis, mon meilleur ami Rosseeuw Saint-Hilaire9, se rend à Néris10. C'est une occasion dont j'ai voulu profiter et qui vous vaut ces quatre mauvaises pages.

J'ai gouverné la préfecture de mon mieux en l'absence de M. Berger11. Nous avons obtenu à grand' peine du conseil de préfecture la suspension du lieutenant-colonel de la 11ème légion, M. Pascal. Je n'ai pas été encore assez heureux pour obtenir de M. Dufaure12 la destitution du maire du 11ème, et la réorganisation du conseil municipal.

Agréez, Monsieur et cher ministre, l'assurance de mon respectueux attachement.

Ch. Meruau.

1Falloux est encore ministre ; sa démission deviendra officielle le 24 octobre 1849.

2Dieppe est alors une station balnéaire et climatique très fréquentée par les classes dirigeantes.

3A. Thiers était alors en train de rédiger sa monumentale Histoire du consulat et de l'Empire qui devait paraître quelques années plus tard.

4Passy, Hippolyte Philibert (1793-1880), économiste et homme politique. Elu député de l'Eure le 28 octobre 1830, il siégea dans le Tiers Parti . Rapporteur du budget de 1831, il sera réélu dans ce département (collège de Louviers), le 5 juillet 1831 et le 21 juin 1834. Nommé ministre ds Finances dans l'éphémère ministère Maret (10-18 novembre 1834), il sera peu après vice-préseident de la Chambre des députés. Proche d'A. Thiers, il entra dans son premier ministère (22 février-25 août 1836) comme ministre du Commerce et des Travaux publics. Le 16 décembre 1843 il devint pair de France. En 1848, non élu à l'Assemblée Constituante, il fut néanmoins nommé ministre des Finances dans le premier gouvernement Barrot le 20 décembre 1848 aux côtés de Falloux, puis dans le second gouvernement Barrot jusqu'au 31 octobre 1849. Elu député de l'Eure à l'Assemblée législative, il appuya le gouvernement présidentiel jusqu'au coup d'état du 2 décembre 1851, puis se retira de la vie politique.

5Les deux hommes s'étaient rencontrés à Rouen lors d'une visite du Prince Président dans cette ville, le 11 août 1849.

6Conformément à la constitution de 1848, la Chambre s'était accordée quelques semaines de vacances.

7Suite à la démission de Falloux, un remaniement ministériel est en cours. Le 31 octobre 1849, le comte d'Hautpoul deviendra chef du gouvernment.

8Pie IX s'y était réfugié après la révolution romaine.

9Rosseeuw Saint-Hilaire, Eugène François Achille (1805-1889), historien.

10Néris-les Bains, dans l'Allier; Falloux y effectuait un séjour pour soigner ses névralgies.

11Berger, François Eugène (1829-1903), homme politique. Attaché au ministère de l'Intérieur, il entra au Conseil de préfecture des Basses-Alpes, puis du Loiret et revient au Ministère de l’Intérieur comme sous-chef du cabinet du ministre puis chef du bureau du personnel en 1860. Candidat officiel, il sera élu député du Maine-et-Loire (circonscription de Segré-Baugé) en 1866 et réélu en 1869. Membre du Conseil général du Maine-et-Loire sous l'Empire; réélu en 1873. Son père occupa longtemps le poste de secrétaire général de la préfecture de Maine-et-Loire.

12J. Dufaure est ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Barrot.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «Octobre 1849», correspondance-falloux [En ligne], Année 1849, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Seconde République, Années 1848-1851,mis à jour le : 13/02/2014