CECI n'est pas EXECUTE 18 avril 1870

Année 1870 |

18 avril 1870

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

18 avril 1870

Chère madame,

Nous sommes tous ébbaubis de ce qui se passe, et nous vous demanderons la clef de l'énigme quand vous pourrez la saisir. Pourquoi M. Daru1 qui était d'avis du plébiscite s'en va-t-il quand le plébiscite triomphe2 ? Pourquoi M. de Talhouët3 qui se disait excédé du ministère y reste-t-il quand tout l'invite à en sortir4 ? Pourquoi E. Ollivier5 que j'avais si généreusement défendu contre le marquis de Castellane se donne-t-il maintenant à la tribune des allures que n'auraient pas osé prendre M. Rouher6 ou M. Forcade7 ? La pauvre France a été certainement bien coupable mais elle est aussi bien malheureuse et les gens qui s'emparent de sa destinée s'en jouent avec une légèreté révoltante.

Je vous demande mille pardons de ma niaiserie en ce qui touche mes propres phrases, j'avais conçu de l'inquiétude sur une étourderie possible dans la prise d'une adresse et me voilà maintenant bien rassuré mais à ma grande confusion.

J'attends avec impatience la pièce collective qu'on vous annonce, mais il faut qu'elle soit collective et très collective sans quoi ce sera un coup d'épée dans l'eau. En attendant ne comptez pas sur moi chère Madame pour vous restituer M. de Bertou, je lui ai annoncé à mon retour que j'avais sous loué son appartement, installés les locataires avant mon départ et mis une femme de ménage dans la chambre de Baptiste. Il a commencé par se révolter, puis il a fini par se résigner. Je manque tout à fait de générosité en cette circonstance parce que j'ai ce qu'il me faut pour me faire illusion, c'est-à-dire un bon prétexte et même une excellente raison, l'édition définitive de MmeSwetchine qui n'a plus besoin que de quelques efforts, pour être définitivement sur pieds. Après cela je ne me permettrais plus aucun acte de concurrence ou de révolte contre vos plus tendres intérêts. Je n'ai rien reçu de M. Boujade8, et je serai on ne peut plus reconnaissant si vous voulez bien me communiquer ou m'obtenir son œuvre dans le cas où vous le verriez lui-même. Autrefois il était aimable pour moi. Antoine a-t-il pu tirer au clair si le pauvre Chailloux9 est bien noté à la chancellerie ? Quelque peu de goût qu'E. Ollivier montre pour la démission, il pourrait bien la recevoir sans la donner, et je serai bien heureux si mon cher petit angevin pouvait être mis hors de la bagarre. Comment va l'abbé Frédro10 ?

Mme de Caradeuc11 et Loyde se sont remises à trottiner ensemble avec beaucoup de prestesse, et des signes de bonne santé mais Marie est de plus en plus dolente et nous formons tous les deux une arrière garde assez piteuse. Les blés, les fleurs et les foins sont dans le même cas. Quand Dieu veut exprimer la suprême détresse d'un pêcheur il place sans sa bouche cette parole : Mon âme est comme une terre sans eau ! Voilà où en est la terre du Bourg d'Iré, et celle de Rochecotte ?

Merci mille fois pour M. de Cumont.

Alfred

1Ministre des Affaires étrangères au sein du gouvernement formé par E. Ollivier le 2 janvier 1870, Daru démissionna le 13 avril en signe de protestation du plébiscite qui venait d'être fixé au 8 mai 1870.

2Daru, Napoléon, comte (1807-1890), fils de l’un des dignitaires de Napoléon Ier, polytechnicien et officier d’artillerie. Entré à la Chambre des Pairs en 1832 où il prit part activement aux débats (en particulier dans la question des chemins de fer) ; député de la Manche en 1848 et 1849 ; adversaire intransigeant de Louis-Napoléon, il fut arrêté en 1851 et se retira de la vie publique jusqu’en 1869, date de sa réélection comme député de l’opposition libérale (département de la Manche). Devenu l’un des chefs du centre gauche, il représenta cette tendance dans le ministère Ollivier du 2 janvier 1870. Après l’inauguration de l’Empire libéral, il fut nommé ministre des Affaires Étrangères le 2 janvier 1870, mais démissionne le 11 avril 1870. Élu à l’Assemblée nationale puis au Sénat ; devenu monarchiste il fut un ferme partisan de l’Ordre moral. Non réélu en 1879, il se retira de la vie politique.

3Bonamour, Auguste Elisabeth Joseph, marquis de Talhouët (1819-1884), député depuis 1852, il avait été nommé vice-président du Corps législatif en décembre 1869. Il est ministre des Travaux publics au sein du gouvernement d'E. Ollivier.

4En réalité, Talhouët démissionnera peu après lui aussi ; il sera remplacé par Jacque-Philippe Mège au ministère des Travaux publics.

5Émile Ollivier (1825-1913), homme politique. Fils d’un Carbonaro républicain, il fut nommé par le gouvernement provisoire préfet de Marseille, le 27 février 1848 ; il avait alors 22 ans. Il se fit élire en 1857 au Corps Législatif. Républicain, il était néanmoins dépourvu de tout sectarisme. Il accueillit avec faveur l’orientation du régime vers le libéralisme, approuvant notamment le décret du 24 novembre 1860. Réélu en 1863, il fut appelé par l’Empereur pour diriger le gouvernement du 2 janvier 1870. Exilé en Italie jusqu'en 1873, battu dans le Var en 1876 et en 1877, il consacra le reste de sa vie à la rédaction des dix-sept volumes de son Empire libéral. Il avait été élu à l'Académie française le 7 avril 1870.

6Rouher Eugène (1814-1884), avocat au barreau de la ville de Riom. Député de la Constituante (1848), puis de la Législative (1849). Ministre de la Justice à deux reprises (octobre 1849-février 1851 et avril-septembre 1851), puis ministre du Commerce, de l’Agriculture et des Travaux publics, et ministre d'État auprès des chambres de 1863 à 1867. Défenseur vigoureux du régime autoritaire et adversaire acharné du parlementarisme libéral. Se retire à Londres après la chute de l’Empire. De retour en France, il se fait élire député de Corse en 1872. Il demeure alors l’un des leaders les plus influents du parti bonapartiste. Il rentrera dans la vie privée après la mort du prince impérial (1879).

7Focade La Roquette, Adolphe Jean Louis Victor (1820-1874), homme politique. Frère utérin du maréchal Saint-Arnaud, il avait été ministre des Finances de novembre 1860 à novembre 1861 avant de devenir sénateur, puis vice-président du Conseil d’État. Il avait été nommé ministre de l'Intérieur le 17 décembre 1868. Hostile à l'Empire libéral, il avait donné sa démission de sénateur après la formation du cabinet Ollivier. Élu député du Lot-et-Garonne, il devint l'un des leader de la droite. Il se retirera de la vie politique après la chute de l'Empire.

8?

9?

10Vicaire de Saint-Philippe du Roule, à Paris.

11Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), mère de Marie de Falloux.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «18 avril 1870», correspondance-falloux [En ligne], Second Empire, Année 1852-1870, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, Année 1870,mis à jour le : 13/03/2014