CECI n'est pas EXECUTE 11 mars 1878

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11 mars 1878

Alfred de Falloux à Couvreux (abbé)

11 mars 1878

Cher Monsieur l'abbé,

Mad. de Caradeuc1 et Loyde ont fixé leur départ au milieu de la semaine prochaine. Je m'arrêterai à Angers le temps nécessaire au dentiste pour achever, si cela est possible, son œuvre imparfaite, et je prendrai aussitôt après la route de Rochecotte, c'est-à-dire très probablement aux derniers jours de mars. J'en ai une impatience que je ne cherche point à vous exprimer parce que je suis sûr que personne de vous n'en doute, et j'y ajoute bien des vœux pour que la santé de Mad. de Castellane ne succombe par trop à l'épreuve nouvelle qui l'attend. Rappelez-lui bien souvent tout ce qu'il lui reste de bien à faire, en ce monde, car c'est la seule manière de l'engager à se soigner consciencieusement. J'ai été fort mécontent du maintien d'un Nocella2 ; j'ai trouvé absolument insensé son discours apporté par l'Univers d'hier, et j'ai été encore plus affligé de la malheureuse histoire des Suisses. Il est vraiment bien malheureux que, en fait d'abus, on n'ait songé à réformer qu'un usage de toute justice, de toute convenance, et il m'eut paru bien simple qu'un simple qu'un Pape3 qui a régné 30 ans valut un modeste souvenir aux gens qui l'ont fidèlement servi. L'évêque d'O[rléans]4 a été en veine de m'écrire, tous ces temps-ci. Il hésite encore à partir pour Rome, et attend des renseignements que je lui envoie du côté de mon frère5, autant que je le puis. De cette source, ils sont très favorables, mais n'y-a-t-il pas quelques illusions ?

En attendant, je lis fort attentivement le P. Curci6, traduit en un seul volume, et en vente chez Amyot, rue de Seine 6. J'engage très vivement Rochecotte à le faire venir et à le lire aussi attentivement que moi. Je modifierais certainement quelques pages plutôt incomplètes que coupables, mais je croirais avoir acquis un grand titre près de Dieu si j'avais pensé et signé toutes les autres. Le P. Curci est le contre-pied le plus édifiant de l'abbé de La Mennais7 ou du P. Hyacinthe8, et c'est un grand signe des passions aveugles et haineuses qui dominent aujourd'hui que la proscription d'un tel homme dont on pouvait réfuter les opinions, mais dont on devait respecter le caractère et admirer le courage.

Puis-je encore me présenter à Rochecotte après cela ? Bertou nous a quitté hier pour St-Martin qu'il semble avoir tout-à-fait adopté.

A. de Falloux

1Emilie-Marie-Charlotte de Caradeuc, née de Martel (1801-1882), mère de Marie de Falloux.

2Carlo Nocella (1826-1908), prélat italien. Ordonné prêtre en 1849, il exerça diverses fonctions dont le professorat à Rome avant d'être nommé secrétaire de la S. Congrégation Consistoriale (1892-1899), puis patriarche titulaire d'Antioche en (1899-1901) et Patriarche de Constantinople de 1901 à sa mort. Il fut créé cardinal lors du consistoire du 22 juin 1903.

6Curci, Carlo Maria (1810-1891), ecclésiastique italien. Jésuite, il avait été expulsé de la Compagnie de Jésus et suspendu de l’Église. Favorable à la conciliation entre le gouvernement italien et le Saint-Siège, il fut un des fondateurs de la revue Civiltà cattolica. Il sera réintégré dans la Compagnie de Jésus quelques mois avant sa mort.

L'ouvrage du P. Curci auquel Falloux fait allusion ici venait d'être traduit en français, sous le titre Le dissentiment moderne entre l’Église et l'Italie.

7Hugues-Félicité Robert de Lamennais, écrivain et philosophe chrétien français. Ordonné prêtre en 1819, il était opposé aux doctrines gallicanes et considérait préférable de se tourner vers Rome pour résister aux prétentions du pouvoir civil. Ses idées en faveur des libertés favorisèrent le développement du catholicisme libéral. Ses écrits et son journal L'Avenir furent néanmoins condamnées en 1832 par Grégoire XVI (encyclique Mirari Vos). Abandonné par ses plus fidèles partisans, notamment Lacordaire et Montalembert, refusant de se soumettre, il fut à nouveau condamné par Rome pour ses Paroles d'un croyant, en 1834 (encyclique Singularis nos).

8Loyson, Charles (1827-1912) en religion le  P. Hyacinthe. Après un passage chez les Dominicains, il était entré en 1862 chez les Carmes. Prédicateur de Notre-Dame de Paris de 1864 à 1869, il était admiré pour son éloquence et sa générosité. Lié aux catholiques libéraux, ses éloges de 1789 lui attirèrent bientôt de vives attaques de la part des intransigeants. Favorable aux idées modernes, partisan d’un rapprochement entre catholicisme, protestantisme et judaïsme, sa foi sembla quelque peu ébranlée à partir de 1868, année au cours de laquelle il fit par ailleurs connaissance d’une jeune veuve américaine récemment convertie, Mme Émilie Meriman dont il s’éprit et qu’il épousera en 1872. Ses rapports avec plusieurs athées notoires et ses hardiesses de langage le rendirent rapidement suspect à Rome où il dut aller s’expliquer. De retour à Paris il se compromit définitivement par un discours prononcé le 24 juin 1869 au Congrès de la Paix, congrès interconfessionnel. Le général des Carmes lui ayant ordonné de cesser le ministère de ses prédications, le P. Hyacinthe lui adressa, le 20 septembre, sa décision de quitter le Carmel. Excommunié, le P. Hyacinthe n’entendait pas cependant s’éloigner définitivement de l’Église. Il en fut néanmoins rejeté par la proclamation de l’infaillibilité pontificale contre laquelle il publia le 30 juillet 1870 une vive protestation. Il rentra par la suite en relation avec Döllinger. Curé de la paroisse catholique de Genève pendant quelque temps, il fonda à Paris une « Église gallicane » et prêcha partout la réconciliation entre catholicisme et protestantisme. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Liturgie de l’Église catholique gallicane (1883) et Les Principes de la réforme catholique (1878). De plus en plus attaqué pour ses prises de position libérales et déçu par les progrès de l'ultramontanisme, il rompit publiquement avec l’Église en septembre 1869 continuant cependant à se dire « prêtre catholique » puis « prêtre du vrai Dieu ».


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «11 mars 1878», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1878,mis à jour le : 14/12/2015