CECI n'est pas EXECUTE 15 août 1884

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15 août 1884

Bernard Chocarne (R.P.) à Alfred de Falloux

Flavigny1, 15 août 1884

Monsieur le comte,

Permettez-moi de vous féliciter de votre protestation courageuse et éloquente. Le timbre de votre voix, au milieu du bourdonnement terne du moment actuel, me rappelle l'accent de combat d'il y a 40 ans ; c'est net, c'est franc, c'est honnête et loyal comme on parlait alors. On ne parle plus ainsi aujourd'hui. Vous êtes le seul. On a peur, ou on est fatigué, je ne sais ;mais c'est au moment où, comme vous le dites fort bien, « un double et généreux effort est tenté, l'un à Rome, l'autre à Paris », que les gens sensés se taisent, et que les énergumènes relèvent la voix de plus belle. C'est donc du courage « d'avoir voulu une fois de plus embrasser vos vieux autels, ceux de l'honneur, de la justice et de la vérité ». Et c'est utile, au moins je l'espère. Si tard soit-il, il faudrait désespérer de l'avenir si le bon sens ne devait triompher un jour de la folie furieuse. Merci donc, Monsieur le comte, et Dieu veuille vous conserver longtemps à nos âmes affaissées comme un ancêtre à qui l'âge n'a rien enlevé de la vigueur de talent, de l'énergie de conviction de ses plus belles années.

Permettez-moi encore de m'abriter derrière ma qualité d'ermite pour vous prier d'excuser un oubli qui serait impardonnable s'il eût été volontaire. Je ne lis pas les journaux et je n'ai su la mort de Son Éminence le cardinal de Falloux2 que par le père Didon3 de passage à Flavigny il y a quelques jours. J'ai prié sincèrement pour lui. Il était de ceux lui aussi qui se restent fidèle à eux-mêmes et qui ne craignent pas d'avoir des opinions isolées et en défaveur. Il avait été particulièrement bon pour moi, lorsque j'allais présenter mes humbles devoirs à Léon XIII au début de son règne. Laissez-moi vous exprimer Monsieur le comte, ma religieuse et profonde condoléance.

J'achève à Flavigny l'année de solitude et de repos qui m'avait été accordée. Je mets la dernière main à la correspondance du P. Lacordaire avec Madame de Prailly4 qui paraîtra au commencement de l'automne.

Veuillez agréer, Monsieur le comte, l'hommage de ma très respectueuse considération et de mon fidèle attachement à nos vieux autels.

Fr. B. Chocarne

1Flavigny-sur-Ozerain en Côte d'Or. C'est là que le couvent d'études des Dominicains avait été installé en 1865. A partir de 1880, suite à l'expulsion des religieux, les dominicains étaient partis en exil en Espagne et en Autriche. En 1895, les frères furent autorisés à se réinstaller dans le couvent.

2Frédéric de Falloux, son frère était mort le 22 juin 1884.

3Didon Henri Louis Rémy (1840-1900), dominicain. Elève du petit sémiaire, il avait pris l'habit doninicain dés 1856. Il avait été ordonné prêtre en 1862.

4Lettres du R.P. Lacordaire à Mme la Baronne de Prailly. Publiées par le R.P. Bernard Chocarne, Paris, Librairie Poussielgue Frères, 1885.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «15 août 1884», correspondance-falloux [En ligne], CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République, 1884,mis à jour le : 23/06/2023