CECI n'est pas EXECUTE 22 janvier 1878

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22 janvier 1878

Alfred de Falloux à Mgr Dupanloup

22 janvier 1878

Cher seigneur, je n'ai rien vu dans les journaux au sujet des publications posthumes de M. Thiers, mais quelqu'en soit l'éditeur responsable, nous ne pouvons plus compter sur une entière impartialité, et Madame Thiers1 nous a déjà trop prouvé sous quelle influence elle se place elle-même. Je ne puis donc qu'applaudir très chaleureusement au dessein de parler vous-même sur la tombe d'un homme qui avait de ces rares qualités et qui a rendu de si grands services. Nous avons eu avec vous le vrai M. Thiers, celui de la plénitude de l'âge et de la pensée : d'autres n'ont eu que son inexpérience ou ses débris. C'est, je crois, ce qu'il serait facile et très important de démontrer : c'est à quoi vous pouvez réussir mieux que personne, et je serais parfaitement heureux d'y contribuer en tout ce qui pourra dépendre de moi.

J'ai d'assez nombreuses lettres de M. Thiers, mais toujours courtes et très affectueuses. Elles prouvent irrécusablement, par leur accent de sincérité, à quel point il était avec nous, de 1848 à 1871. Mais ce témoignage, vous l'avez reçu vous-même, cher seigneur, et à un plus haut degré que personne. H. de Lacombe vous sera, en même temps et au mêmes points de vue, un auxiliaire précieux.

Un plus grand témoin encore sera le procès-verbal de la séance de la commission de l'enseignement : l'avez-vous à Orléans ? Cochin en avait, je crois, l'exemplaire le plus complet, et Madame Cochin2 ni ses enfants ne l'auront certainement point laissé égarer. Enfin, nous avons nos souvenirs personnels qu'il me paraîtraît fort permis de mettre au jour désormais, entre autres le séjour d'Augerville3. Vous rappelez-vous cette soirée perçant fort avant dans la nuit, durant laquelle M. Thiers nous raconta toute la révolution de Juillet, sans nous dissimuler tous les torts et toutes les faiblesses de son origine, et, le lendemain, la conversation dans votre chambre, entre vous, lui, Montalembert et moi, tout ce qu'il me permit de lui dire sur la nécessité d'un franc retour monarchique, et le consentement ému qu'il promettait à cet avenir?je suis tout prêt à écrire ses souvenirs qui me sont très présents ; mais il importerait que vous les écrivissiez de votre côté, de façon à ce que nos deux récits pussent se confirmer et se compléter l'un par l'autre.

Votre solitude actuelle, trop justifiée, hélas ! par les événements, me paraît bien propre à ce recueillement de vos souvenirs, et leur publicité serait certainement fort opportune, dans la phase périlleuse que nous traversons. Courage donc, cher seigneur, et d'avance mille actions de grâces.

Alfred.

1Eulalie Elise Thiers, née Dosne (1818-1880).

2Adeline Alexandrine Marie Cochin née Benoist d'Azy (1830-1892). Elle avait épousé Augustin Cochin, décédé le 15 mars 1872.

3Il s'agit sans doute de la réunion du 3 mai 1856 au domicile de P.-A. Berryer, à Augerville-la-Rivière, au cours de laquelle les uns et les autres s'étaient entretenus sur un projet de fusion.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «22 janvier 1878», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1878,mis à jour le : 05/03/2019