CECI n'est pas EXECUTE 23 novembre 1877

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23 novembre 1877

Alfred de Falloux à Mgr Dupanloup

23 novembre 1877

Cher seigneur, j'ai trois raisons que je crois invincibles pour refuser une candidature dans les conditions où elle se présente aujourd'hui.

1° Etre le candidat du centre droit au lieu de l'être de la droite, au moment où la droite choisit pour m'exclure un homme de 80 ans, qu'elle honorable qu'il soit d'ailleurs, c'est accepter l'ostracisme prononcé contre moi, et c'est surtout m'interdire d'avance les services qu'on pourrait attendre de moi, c'est-à-dire l'action sur la droite et avec la droite ;

2° L'heure serait on ne peut plus inopportune et d'honorer à mon nom le caractère d'une véritable provocation qui est précisément ce que l'on veut éviter. Vous verriez aussitôt reparaître contre moi les journées de juin, la guerre civile, même teintes du sang du peuple, etc.

3° Dans ces conditions, je suis absolument certain que la majorité même promise ne se formerait pas. Il y aurait dans l'extrême droite, assez de pointus, dans le centre droit assez d’effrayés pour fausser compagnie comme on l'a fait à M. Grandperret1. Je n'aurais même pas la majorité des voix plus une, j'aurais une minorité, et un candidat de la gauche bien choisie, comme Victor Lefranc2, par exemple, passerait en me laissant le remords et la responsabilité d'un très grave échec pour le Sénat lui-même.

Mon élection ne serait donc possible, si Dieu veut qu'elle le soit jamais, que quand votre majorité, grâce à des décès répétés, ce sera constituée à l'abri des petites coteries extrêmes et pourra réellement compter sur l'efficacité de ses propres délibérations. Quand vous aurez nommé M. de Cumont, M. de Lacombe, et probablement aussi M. Decaze3, alors vous serez réellement affranchis, et vous pourrez tout autrement qu'aujourd'hui, vous occuper de l'avenir.

D'ici là, cher seigneur, pardonnez-moi, si en demeurant profondément touché d'une bonté qui va jusqu'à l'illusion, je crois devoir refuser de faire de mon nom un et sujet de discorde et d'échec.

Je vais garder précieusement la lettre incluse dans la votre, afin de de ne vous la renvoyer qu'à votre domicile certain et de lui enlever toute chance d'être perdue.

Votre plus reconnaissant Alfred.

 

1Grandperret, Michel Étienne Anthelme Théodore Grandperret (1818-1890), avocat, procureur général à la cour de Paris sous l'Empire et homme politique. Bonapartiste ardent, il entra dans le dernier gouvernement de Napoléon III formé par Charles Cousin-Montauban comme ministre de la Justice et des Cultes le 10 août 1870. Redevenu avocat après le 4 septembre, il s'était fait élire sénateur inamovible le 15 novembre 1877. Un député de la gauche, M. Hérold, ayant fait observer le lendemain, que la majorité requise n'avait pas été atteinte, cette élection avait été annulée. Mais le 24 novembre, soit au lendemain de cette lettre de Falloux, à l'issue d'un nouveau scrutin, M. Grandperret fut alors définitivement nommé par 143 voix (279 votants) contre 135 à M. Victor Lefranc, candidat républicain.

2Lefranc, Bernard Edme Victor (1809-1883), avocat et homme politique. Opposant démocrate au gouvernement de Louis-Philippe, il fut nommé commissaire général du gouvernement provisoire dans les Landes au lendemain de la révolution de février 1848. Elu républicain modéré à l'Assemblée constituante, rentré dans la vie privée après le coup d'état, il revint sur la scène politique après le 4 septembre. Elu représentant des Landes à l'Assemblée nationale du 8 février 1871, il siégea au centre gauche. Nommé ministre de l'Agriculture et du Commerce le 9 juin 1871 dans le premier gouvernement Dufaure, puis ministre de l'Intérieur le 6 février 1872. Républicain convaincu, mais fervent catholique, il essaya en vain de se concilier la droite. Désavoué par l'Assemblée, il démissionna le 30 novembre 1872 et reprit sa place au centre gauche. Candidat malheureux contre Michel Grandperret, il sera élu sénateur inamovible le 21 mai 1881.

3Decaze, Louis Charles Élie, duc (1819-1886), diplomate et homme politique. Diplomate sous la monarchie de Juillet, ll cessa tout fonction publique à la révolution de février 1848. Élu de la Gironde à l'Assemblée nationale du 8 février 1871, il rejoignit le centre droit. Il sera ministre des Affaires étrangères sous l'Ordre moral, entre le 29 novembre 1873 et le 23 novembre 1877.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «23 novembre 1877», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1877,mis à jour le : 18/06/2017