CECI n'est pas EXECUTE 7 octobre 1872

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7 octobre 1872

Alfred de Falloux à Jules de Bertou

7 octobre 1872

Cher ami, je n'ai eu qu'une demie crise cette nuit, et je puis vous annoncer moi-même ce matin que j'ai trouvé ces dames en très passable état, très avides des nouvelles de Rochecotte, et lui envoyant les plus fidèles tendresses. Mme de Trédern1 m'a chargé, au passage, d'une foule de sentiments à la même adresse, et dont vous étiez loin d'être exclu. Je n'ai trouvé personne à la Lorie2; la duchesse3 est dans le midi, le duc4 à Paris, Henry au collège, et les filles, sous la garde d'une gouvernante, étaient au vêpres. Je leur ai laissé par écrit des nouvelles de Thisté5; je vous envoie le texte curieux de Saint-Chéron, pour vous rassurer sur la crainte que vous aviez de me voir incompris, et pour que vous jugiez par vos propres yeux que les rapprochements bonapartistes effraient décidément moins que les rapprochements orléanistes, puisqu'on prend dans La Patrie des rédacteurs qu'on accepterait certainement pas de M. Hervé, et qu'on cohabite avec Monsieur Pouyer-Quertier6. Reconnaissez donc que Fitz-James est plus grand politique que vous ne vouliez l'admettre.

J'ai écrit hier très hâtivement à Madame de Castellane, et je vous serais très obligé de compléter à la fois ma pensée et mon remerciement, puisque vous êtes entrés vous-même dans la vivacité de mon impression, ce que ne m'avait pas laissé deviner votre silence à Rochecotte, et vos deux premières lettres à Angers. J'espère donc qu'il sera encore temps pour faire lever la consigne de Rochecotte, si Veuillot prolonge son séjour ou annonce un retour chez les Chabrol7. Voici le motif très réfléchi de mon insistance à cet égard : il n'y a aucune sorte de raison, à mon sens, pour cent prendre au Chabrol dans cette affaire;ils sont parfaitement dans leurs droits en recevant chez eux qui leur pelaient, et pour moi, je ne songe pas plus à leur en vouloir qu'au curé de Tremblay8, avec qui je suis resté toujours dans les meilleurs termes. Il ne seraient passible d'une pénitence, à mes yeux, que s'ils avaient caché à Antoine quel convive ils lui préparaient ; mais ils y ont mis, au contraire, une parfaite loyauté. Antoine savait parfaitement que Veuillot arrivait, in fiocci, avec l'évêque d'Angers9, et qu'il serait la plus grosse fleur du bouquet qu'on contait lui offrir. C'est uniquement là qu'a été pour moi le chagrin ; c'est dans l'hommage moral, auquel on s'associait. Quant à la rencontre matérielle ou fortuite, il faudrait un bien grand enfantillage pour s'en offenser. Je crois que, dans ce genre-là, mes preuves sont faites depuis longtemps ; les Chabrol seront donc de la meilleure foi du monde, et absolument dans leurs droits, s'il se présente à Rochecotte avec les hôtes qu'on est venu saluer chez eux. Leur faire une impolitesse à ce sujet, y mêler forcément les domestiques, c'est s'exposer à une foule de commentaires où la logique ne sera pas du côté de Rochecotte, et où je serais très désolé qu'on crût m'entrevoir dans la coulisse, et comme inspirateur de cette tardive représaille. La situation étant ce qu'elle est aujourd'hui, je n'y vois, pour mon compte, que deux issues :subir tranquillement la conséquence du dîner et de la soirée, dans les conditions où ils ont été acceptés, ou bien prendre très franchement et très cordialement l'initiative envers Madame de Chabrol, et lui dire : mes relations bien connues avec des vivants et des morts, très injustement et très persévéremment méconnues par M. Veuillot, me rendraient sa présence à Rochecotte très pénible. Je suis sûr que vous le comprendrez sans que j'insiste davantage.- Entre l'un ou l'autre de ces deux termes, dont je laisse bien sincèrement le choix aux intéressés, je ne crois pas qu'il y ait un troisième terme, et certainement celui d'une consigne à l'antichambre n'en est pas un, car, après tout, cette consigne ne peut durer au-delà de quelques jours, et si Veuillot vient ou revient au-delà du terme prévu, on peut se trouver nez à nez avec lui au moment où l'on y pensera le moins.

Ce à quoi je pense beaucoup en ce moment, cher ami, c'était au départ de la princesse Radziwill10 et au chagrin de Madame de Castellane. Veuillez le dire à toutes deux sans oublier Georges et Betha, dans le langage qui répondra le mieux au fond de mon cœur. Comment va M. Gillet ?

M. Rose va mieux mais il y a plusieurs morts autour de lui, et l'épidémie ne diminue pas encore. On est bien triste à Noyant11, quoique Maurice se soit embarqué dans les meilleures conditions possibles. Le duc de Brissac12 est en grand honneur dans le salon de l'Isle13.

Alfred

 

1Tredern,Jeanne-Marie, née Say (1848-1916) , épouse de Christian de Trédern (1842-1914).

2Château de la Lorie, près de Segré, propriété des Fitz-James.

3Fitz-James, Marguerite Augusta Marie, Löwenhielm (1830-1915), épouse du duc depuis 1857.

4Fitz-James, Édouard, Antoine, Sidoine de (1828-1906).

5?

6Pouyer-Quertier, Auguste Thomas (1820-1891), industriel et homme politique français. Installé comme filateur dans l’Eure dés l’âge de 21 ans, il fit rapidement fortune. Conseiller général (1852) et maire de Fleury (1854), il fut élu candidat officiel en 1857 dans la circonscription de Rouen, puis réélu en 1863. Devenu le porte parole du protectionnisme au Corps législatif, il se vit retirer sa candidature officielle et échoua face à un candidat républicain en 1869. Élu sur une liste conservatrice le 8 février 1871, il fut appelé par Thiers pour occuper le ministère des Finances. Il fut élu sénateur en 1876, poste qu’il conserva jusqu’à sa mort.

7Chabrol-Tournoelle, Guillaume (1840-1821) et son épouse Marie, née Bourbon-Busset (1845-1878).

8Le Tremblay, commune du Maine-et-Loire, proche du Bourg d'Iré.

9Mgr Freppel.

10Marie Dorothée Élisabeth de Castellane (1840-1915), fille de Mme de Castellane, elle avait épousé, en 1857, le prince Antoine Radziwill (1833-1904).

11Noyant-la-Gravoyère, commune du Segréen, proche du Bourg d'Iré.

12Sans doute un tableau du duc de Brissac

13Le domaine de l'Isle-Briand, au Lion d'Angers, en Maine-et-Loire, venait d'être acheté peu auparavant par le vicomte de Trédern pour sa femme Jeanne-Marie Say, auparavant marquise de Cossé-Brissac.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «7 octobre 1872», correspondance-falloux [En ligne], 1872, CORRESPONDANCES, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, Troisième République,mis à jour le : 22/04/2019