CECI n'est pas EXECUTE 14 septembre 1872

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14 septembre 1872

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

Bourg d'Iré, 14 septembre 1872*

Chère Madame,

 

M. Riobé1 vous a dit quel cas de force majeure m'empêchait de vous remercier de votre dernière lettre, et je m'en dédommage ce matin, à peu près remis sur mes jambes. Tout le monde me dit qu'à travers quelques alternatives passagères votre santé gagne du terrain et nous nous en réjouissons plus que vous. Je n'ai pas compris ce que Canofari2, qui me représente un ancien agent du roi de Naples, pouvait signifier dans la politique de cette heure-ci ; mais vous me l'expliquerez de vive voix, et je me borne à vous dire aujourd'hui que j'active toutes mes dispositions de départ, et que des crises m'atteignant à Angers pourraient seulement m'empêcher de vous arriver mercredi pour dîner. Vous me ferez dire d'ici là par Bertou si vous préférez que je laisse ou que j'amène Eugène, car la question de chambre n'est pas tout et vous êtes peut-être encombrés par les domestiques autant que par les maîtres. Je ne répondrai non plus qu'après vos instructions à une lettre d'Hilaire [de Lacombe], qui m'écrit de Montmarin3 pour me demander de l'avertir quand j'irai à Rochecotte. Il peut très bien venir au Bourg d'Iré, et je n'ai aucun motif particulier pour le désirer plus en ce moment-ci que dans tout autre. C'est donc uniquement dans le cas où il vous serait personnellement agréable, et où il ne se trouverait pas en petit conflit avec Antoine [de Castellane] que je lui répondrais à temps, sinon j'attendrai mon retour ici. Quant à ma petite chambre du second étage, je la considère absolument comme à moi, et je serais tout à fait indigné que vous y missiez un autre. M. Riobé joint d'avance ses remerciements aux miens.

Marie m'envoie à l'instant même Le Moniteur du Cantal4, et j'adresse mes plus vives félicitations à Antoine [de Castellane]. Il parla définitivement un vrai langage politique, et il se montre cette fois absolument irréprochable, sans avoir rien sacrifié en franchise et en énergie. Chaque pas, depuis un an, a été un sérieux progrès5, et je ne doute pas qu'il ne recueille bientôt du travail que vous avez fait pour lui en son absence, de nouveaux fruits.

Je remercie Bertou de plusieurs lettres à la fois, car j'ai été vaincu par le mal, et non par la paresse. Son dernier résumé politique aboutit à ceci : la France doit rappeler M. le Comte de Chambord sans précautions ni garanties préalables, s'en rapportant purement et simplement à lui pour que, une fois sur le trône, il satisfasse tout le monde, avec cette portée et ce tact politique dont il a donné tant de preuves depuis 30 ans dans le gouvernement de ses propres amis. Bertou est tout à fait dans son droit, aussi bien que tout autre, en pensant et en parlant ainsi ; seulement je lui demande pourquoi il s'étonne et se fâche quand on l'appelle chevau-léger6, car cette élite d'hommes politiques n'a point d'autre programme que celui-là, et aucun d'eux ne prétend que le blanc-seing qu'ils réclament en faveur du prince ne doive tourner à nous combler de félicités.

Quelques-uns ne se bornent même pas à le prétendre. Ils en sont sincèrement convaincus ! Veuillez, cher Madame, offrir toutes mes condoléances à l'abbé Couvreux, et soignons-nous bien tous les trois de façon à n'être malade que chacun à notre tour, et en pouvant nous soigner réciproquement. Il y aurait encore là de grandes actions de grâce, à rendre, à dire, Alfred.

 

 

*Archives départementales du Maine-et-Loire

1Secrétaire de Falloux.

2Canofari, Joseph (1790-1872), diplomate italien. Il fut chargé d'affaires du roi de Naples et des Deux-Siciles.

3Montmarin, propriété de la famille Marin de Montmarin, située sur la commune de Sargé-sur-Braye dans le Vendomois (Loir-et-Cher).

4Journal conservateur.

5Antoine de Castellane est alors un tout jeune député, élu à l'Assemblée nationale du 8 février 1871 par le Cantal.

6Fidèles inconditionnels du comte de Chambord, les chevau-légers se réunissaient au Passage des chevau-légers à Versailles.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «14 septembre 1872», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1872,mis à jour le : 08/03/2015