CECI n'est pas EXECUTE 5 décembre 1872

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5 décembre 1872

Alfred de Falloux à Pauline de Castellane

Angers, 5 décembre 1872*

Chère Madame,

Je vous remercie mille fois de vos intéressantes communications, et je me félicite bien vivement avec vous du brillant succès d'Antoine [de Castellane], mais sans m'en effrayer autant. Soyez sûre que le moment venu, s'il vient, ces cannibales ne choisiront pas et n'auront point à faire de jaloux. En second lieu, Antoine n'ayant pas parlé dans l'affaire de Victor Lefranc1, son nom n'est pas plus signalé que celui de M. Callet2, et c'est Raoul Duval3 qui porte toute l'endosse comme c'est moi qui ai eu dans le temps celle des ateliers nationaux4, sans qu'on s'occupât jamais des membres de la commission, dont je n'avais fait que traduire les arrêts. Je n'entends pas par là qu'il faille se dispenser de prier, bien loin de là ; mais j'ose seulement vous assurer que ceux qui font le mieux leurs devoirs sont encore les plus prudents et les plus habiles, sans être plus exposés que les autres. Avec le genre d'ennemis auquel nous avons affaire, le seul moyen sûr est de les vaincre et de les désarmer. Soyons donc sûr que Antoine a pris le meilleur chemin, à tous les points de vue, en prenant celui de l'énergie et en essayant d'y entraîner les autres. Je sais bien que c'est le conseil que vous-même lui auriez donné ; seulement tâchez qu'il ne vous coûte pas trop, et ayez-y confiance vous-même.

Comment Coqueray est-il si tendre avec l'Archevêque de Tours5, qui l'est si peu pour l'évêque d'Orléans6? C'est à vous seule, bien entendu, que je pose la question, et pas à lui.

L'article de Veuillot sur Madame de la Ferté ne vous a-t-il pas paru meilleur que celui de Poujoulat7 ? En tout cas, il a plus de valeurs comme hommage, parce qu'il vient de beaucoup plus loin ? Les détails sur M. de la Ferté ne me surprennent par ; le pauvre homme a perdu ses deux boussoles en ce monde, M. le comte de Chambord et sa femme8. Il a tout ce qu'il faut pour sentir de si cruels vides, et pas tout à fait ce qu'il faudrait pour les combler, en attendant l'éternelle consolation. C'est dans le sentiment de son abattement que j'avais écrit au duc de Noailles plutôt qu'à lui-même ; quand vous en aurez d'autres nouvelles, je vous serais très reconnaissant de m'en faire part et aussi de ce corps a pu faire ou écrire Monsieur le comte de Chambord, qui aurait, selon moi, de bien grave retour à faire sur lui-même en cette occasion.

Madame Cochin9 vous a-t-elle répondu sur la lettre que je lui ai écrite de Rochecotte ? L'attendez-vous encore ? Personne ne m'en dit plus un mot et je la suppose à La Roche10, absorbée entre ses enfants et sa douleur. Aurez-vous la bonté de dire à Bertou que nous entrerons probablement dans l'impression de Madame de Nesselrode11 vers la fin de la semaine prochaine. Soignez-vous, soignez-vous, cher malade, Alfred.

P.S. J'ai une lettre de l'abbé Lagrange12 au sujet de l'interpellation de Jules Simon dont l'évêque13 s'occupe beaucoup ; j'attends pour lui répondre la connaissance de la commission des 3014.

 

*Archives départementales du Maine-et-Loire

1Ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Dufaure, il avait été contraint sous la pression des monarchistes de donner sa démission et repris sa place dans les rangs du centre gauche.

Lefranc, Bernard Edme Victor (1809-1883), avocat et homme politique. Opposant démocrate au gouvernement de Louis-Philippe, il fut nommé commissaire général du gouvernement provisoire dans les Landes au lendemain de la révolution de février 1848. Elu républicain modéré à l'Assemblée constituante, rentré dans la vie privée après le coup d'état, il revint sur la scène politique après le 4 septembre. Elu représentant des Landes à l'Assemblée nationale du 8 février 1871, il siégea au centre gauche. Nommé ministre de l'Agriculture et du Commerce le 9 juin 1871 dans le premier gouvernement Dufaure, puis ministre de l'Intérieur le 6 février 1872. Républicain convaincu, mais fervent catholique, il essaya en vain de se concilier la droite. Désavoué par l'Assemblée, il démissionna le 30 novembre 1872 et reprit sa place au centre gauche. Candidat malheureux contre Michel Grandperret, il sera élu sénateur inamovible le 21 mai 1881.

2Callet, Pierre-Auguste (1812-1883), journaliste et homme politique. Député de la Loire de 1848 à 1851, il siégea à droite. En exil en Belgique après le coup d'état de 1851, il rentre en France et retrouve son siège en 1871. Favorable à la République dans les premiers mois, il siégera par la suite avec le centre droit.

3Raoul-Duval Edgar (1832-1887), magistrat et homme politique. Substitut du procureur impérial à Nantes en 1856, il fut ensuite avocat général à Angers, à Bordeaux puis à Nantes. Candidat bonapartiste, il fut élu député en juillet 1874, lors d'une élection partielle de Seine-Inférieure, il fut réélu dans l'Eure en 1876.

4A l'assemblée constituante de 1848, la commission dont Falloux était le rapporteur s'était prononcé en faveur de la fermeture des ateliers nationaux provoquant le mécontentement populaire qui aboutira à une véritable insurrection lors des journées de juin 1848.

5Mgr Pierre-Félix Fruchaud (1811-1874), nommé évêque de Limoges en 1859, il avait été transféré à l'archevêché de Tours le 30 septembre 1871.

7Poujoulat, François (1808-1880), journaliste et historien, député légitimiste à la Constituante et à la Législative. Il fut l’un des principaux rédacteurs de L’Union, journal légitimiste. Il venait, comme Louis Veuillot, de consacrer un article à à la défunte.

8Clotilde de La Ferté venait de mourir. Clotilde Christine Adélaïde Molé de Champlatreux (1810-1872), épouse de Fernand de La Ferté-Meung, (1805-1884), légitimiste, il était un des partisans de la fusion avec les orléanistes. 

9Adeline Alexandrine Marie Cochin née Benoist d'Azy (1830-1892). Elle avait épousé Augustin Cochin, décédé le 15 mars 1872.

10Château de La Roche, propriété des Cochin, sur la commune du Coudray-Montceaux (Essonne).

11Maria Gureeva (1786-1849), épouse du comte Charles Robert de Nesselrode (1780-1862), diplomate russe. Elle avait entretenu une importante correspondance avec Mme Swetchine que Falloux était en train de publier.

12François Lagrange (1827-1895), secrétaire de Mgr Dupanloup, il était vicaire général d'Orléans depuis 1860. Chanoine titulaire de Paris en 1880, il sera nommé évêque de Chartres en 1889. Il publiera une importante biographie de Mgr Dupanloup, Vie de Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, 3 vol., Paris, 1883-1884.

13Mgr Dupanloup.

14Présidée par le légitimiste Roger de Larcy, la Commission des Trente créé le 28 novembre 1872 était chargée de rédiger une nouvelle constitution.


Notice bibliographique


Pour citer ce document

, «5 décembre 1872», correspondance-falloux [En ligne], Troisième République, BIOGRAPHIE & CORRESPONDANCES, CORRESPONDANCES, 1872,mis à jour le : 08/03/2015